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driez enfin dans votre patrie. M. d’Alembert vous dira quelle vie philosophique on mène dans ma petite retraite. Elle mériterait le nom qu’elle porte si elle pouvait vous posséder quelquefois. On dit que vous haïssez le séjour des villes ; j’ai cela de commun avec vous. Je voudrais vous ressembler en tant de choses que cette conformité pût vous déterminer à venir nous voir. L’état où je suis ne me permet pas de vous en dire davantage.

Comptez que, de tous ceux qui vous ont lu, personne ne vous estime plus que moi, malgré mes mauvaises plaisanteries[1] ; et que, de tous ceux qui vous verront, personne n’est plus disposé à vous aimer tendrement.

Je commence par supprimer toute cérémonie.


3234. — À MADAME LA COMTESSE DE LUTZELBOURG.
Aux Délices, 13 septembre[2]

Priez bien Dieu, madame, avec votre chère amie, Mme de Brumath, pour notre Marie-Thérèse ; et si vous avez des nouvelles d’Allemagne, daignez m’en faire part. Notre Salomon du Nord vient de faire un tour de maître Gonin ; nous verrons quelles en seront les suites.

On dit que la France envoie vingt-quatre mille hommes à cette belle Thérèse, sous le commandement du comte d’Estrées, et que cette noble impératrice confie trois de ses places en Flandre à la bonne foi du roi. Les Hollandais n’auront plus pour barrière que leurs canaux et leurs fromages. Ne seriez-vous pas bien aise de voir Salomon à Vienne, à la cour de la reine de Saba ? Je suis bien étonné qu’on m’attribue le compliment à la Chèvre[3] ; c’est une pièce faite du temps du cardinal de Richelieu. Je ne suis point au fond de mon village, comme le dit le compliment ; et il s’en faut beaucoup que j’aie à me plaindre de cette Chèvre.

Je n’ai à me plaindre que de Salomon ; mais j’oublie tous les rois dans ma retraite, où je me souviens toujours de vous.

  1. Lettre 3000.
  2. Cette lettre, toujours mise au 13 août, ne peut être que du mois de septembre, puisque Voltaire y fait allusion à l’entrée soudaine de Frédéric en Saxe, et que ce coup se fit le 29 août. (G. A.)
  3. Il s’agit de quatorze vers de Maynard qu’on attribuait à Voltaire, et qu’on appliquait au comte d’Argenson, surnommé la Chèvre. Voyez tome XIV, au Catalogue des écrivains du Siècle de Louis XIV, l’article Maynard.