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3230. — À M. LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU.
Aux Délices, 6 septembre.

Je ne conçois pas trop comment mon héros, environné, tout du long de la route, d’affaires, de feux de joie, de fusées, de bals, de comédies, de cris de joie, de battements de mains, de femmes, de filles, daigne encore trouver le temps de donner une lettre à Florian[1] pour moi. Je vous remercie tendrement, monseigneur. Soyez bien persuadé que je serais venu vous faire ma cour à Lyon ; mais je crains pour la vie d’une de mes nièces. Tronchin sera un grand médecin s’il la tire d’affaire.

Quand vous pourrez m’envoyer quelque petit détail de votre belle expédition de Mahon, je vous serai vraiment très-obligé ; mais à présent je ne fais qu’un tableau général des grands événements, et je ne peins qu’à coups de brosse. Puisque j’avais commencé une Histoire générale, il a fallu la finir ; et, dans cette histoire, ce qui fait le plus d’honneur à la nation, y est marqué en peu de mots[2]. Je dis que vous avez sauvé Gênes, que vous avez contribué plus que personne au gain de la bataille de Fontenoy. Je parle de l’assaut de Berg-op-Zoom, pour mettre au-dessus de cette entreprise l’assaut général que vous avez donné à des ouvrages bien moins entamés que ceux de Berg-op-Zoom : tout cela sans affectation, sans avoir l’air de vouloir parler de vous, et comme conduit par la force des événements. J’aurai eu du moins le plaisir de finir une Histoire générale par vous.

Il est venu, dans mon trou des Délices, un petit garçon haut comme Ragotin, nommé Dufour, qui a fait un petit divertissement à Lyon en Votre honneur et gloire. Il dit que c’est vous qui me l’avez adressé, qu’il va à Paris, qu’il veut être votre secrétaire, qu’il faut que je lui donne une lettre pour vous. Je lui donnerai donc cette lettre, qui contiendra que le porteur est le petit Dufour, et vous ferez du petit Dufour tout ce qu’il vous plaira ; mais je serai fort surpris si le petit Dufour peut vous aborder. On dit qu’un abbé[3] va à Vienne. J’espère qu’il bénira l’aigle à deux têtes, et qu’il maudira celui qui n’en a qu’une.

Les ermites suisses vous présentent leurs tendres respects.

  1. Le marquis de Florian.
  2. Voyez la lettre à Richelieu, du 4 février 1757.
  3. L’abbé de Bernis.