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CORRESPONDANCE



3129. — DE M. LE DUC DE LA VALLIÈRE[1].
À Versailles, ce 1er mars 1756.

J’ai reçu, mon cher Voltaire, le sermon[2] que vous m’avez envoyé, et malgré la saine philosophie qui y règne, il m’a inspiré encore plus de respect pour son auteur que pour sa morale. Un autre effet encore qu’il m’a fait, c’est qu’il m’a déterminé à vous demander la plus grande marque d’amitié que vous puissiez me donner. Vous avez près de soixante ans[3], je l’avoue. Vous n’avez pas la santé la plus robuste, je le crois ; mais vous avez le plus beau génie et la tête la plus harmonieuse, j’en suis sûr ; et en commençant une nouvelle carrière sous le nom d’un jeune homme de quinze ans, dût-il vivre plus que Fontenelle, vous lui fourniriez de quoi se rendre l’homme le plus illustre de son siècle. Je ne crains donc pas de vous demander de m’envoyer des psaumes embellis par vos vers ; vous seul avez été et êtes digne de les traduire ; vous effacerez Rousseau, vous inspirerez l’édification, et vous me mettrez à portée de faire le plus grand plaisir à madame ***[4]. Ce n’est plus Mérope[5], Lully ni Métastase qu’il nous faut, mais un peu de David. Imitez-le, enrichissez-le. J’admirerai votre ouvrage, et je n’en serai point jaloux, pourvu qu’il me soit réservé, à moi pauvre pécheur, de le surpasser avec ma Betzabée. Je serai content ; et vous ajouterez à ma satisfaction en m’accordant ce que je vous demande avec la plus grande instance. Donnez-moi une heure par jour ; ne les montrez à personne, et incessamment j’en ferai faire une édition au Louvre, qui fera autant d’honneur à l’auteur que de plaisir au public. Je vous le répète, je suis sûr qu’elle en sera enchantée ; et je le serai que ce soit par vous que je puisse lui faire un aussi grand plaisir. Je compte sur votre amitié, vous savez qu’il y a longtemps ; ainsi j’attends incessamment les prémices d’un succès certain que je vous prépare. Je ne vous tiens pas quitte pour cela de la Mérope royale ni de la justification de ma chère amie Jeanne

  1. Mémoires sur Voltaire, etc., par Longchamp et Wagnière, 1826.
  2. Le Poëme sur le Désastre de Lisbonne.
  3. Il en avait alors soixante-deux.
  4. De Pompadour.
  5. Voltaire avait promis à M. de La Vallière sa tragédie de Mérope mise en opéra par le roi de Prusse.