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la terre d’une planète ; mais si les planètes sont habitées, comme il est probable, pourquoi vaudrais-je mieux à ses yeux que tous les habitants de Saturne ? On a beau tourner ces idées en ridicule, il est certain que toutes les analogies sont pour cette population, et qu’il n’y a que l’orgueil humain qui soit contre. Or cette population supposée, la conservation de l’univers semble avoir pour Dieu même une moralité qui se multiplie par le nombre des mondes habités.

Que le cadavre d’un homme nourrisse des vers, des loups ou des plantes, ce n’est pas, je l’avoue, un dédommagement de la mort de cet homme ; mais si, dans le système de cet univers, il est nécessaire à la conservation du genre humain qu’il y ait une circulation de substance entre les hommes, les animaux, et les végétaux, alors le mal particulier d’un individu contribue au bien général. Je meurs, je suis mangé des vers ; mais mes enfants, mes frères, vivront comme j’ai vécu, et je fais par l’ordre de la nature, et pour tous les hommes, ce que firent volontairement Codrus, Curtius, les Décies, les Philènes, et mille autres pour une petite partie des hommes.

Pour revenir, monsieur, au système que vous attaquez, je crois qu’on ne peut l’examiner convenablement sans distinguer avec soin le mal particulier, dont aucun philosophe n’a jamais nié l’existence, du mal général, que nie l’optimiste. Il n’est pas question de savoir si chacun de nous souffre ou non ; mais s’il était bon que l’univers fût, et si nos maux étaient inévitables dans la constitution de l’univers. Ainsi l’addition d’un article rendrait, ce semble, la proposition plus exacte ; et au lieu de Tout est bien, il vaudrait peut-être mieux dire : Le tout est bien, ou Tout est bien pour le tout ; alors il est très-évident qu’aucun homme ne saurait donner de preuves directes ni pour ni contre, car ces preuves dépendent d’une connaissance parfaite de la constitution du monde et du but de son auteur, et cette connaissance est incontestablement au-dessus de l’intelligence humaine : les vrais principes de l’optimisme ne peuvent se tirer ni des propriétés de la matière, ni de la mécanique de l’univers, mais seulement par induction des perfections de Dieu, qui préside à tout : de sorte qu’on ne prouve pas l’existence de Dieu par le système de Pope, mais le système de Pope par l’existence de Dieu ; et c’est, sans contredit, de la question de la providence qu’est dérivée celle de l’origine du mal. Que si ces deux questions n’ont pas été mieux traitées l’une que l’autre, c’est qu’on a toujours si mal raisonné sur la providence que ce qu’on en a dit d’absurde a fort embrouillé tous les corollaires qu’on pouvait tirer de ce grand et consolant dogme.

Les premiers qui ont gâté la cause de Dieu sont les prêtres et les dévots, qui ne souffrent pas que rien se fasse selon l’ordre établi, mais font toujours intervenir la justice divine à des événements purement naturels, et, pour être sûrs de leur fait, punissent et châtient les méchants, éprouvent ou récompensent les bons indifféremment avec des biens ou des maux, selon l’événement. Je ne sais, pour moi, si c’est une bonne théologie ; mais je trouve que c’est une mauvaise manière de raisonner, de fonder indifféremment sur le pour et le contre les preuves de la providence, et de lui attribuer sans choix tout ce qui se ferait également sans elle.