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je suis à quelques égards de l’avis de votre Bramine[1] ; et de quelque manière qu’on envisage les choses, si tous les événements n’ont pas des effets sensibles, il me parait incontestable que tous en ont de réels dont l’esprit humain perd aisément le fil, mais qui ne sont jamais confondus pair la nature.

Vous dites qu’il est démontré que les corps célestes font leur révolution dans l’espace non résistant. C’était assurément une très-belle chose à démontrer ; mais, selon la coutume des ignorants, j’ai très-peu de foi aux démonstrations qui passent ma a portée. J’imaginerais que, pour bâtir celle-ci, l’on aurait à peu près raisonné de cette manière. Telle force agissant selon telle loi doit donner aux astres tel mouvement dans un milieu non résistant ; or les astres ont exactement le mouvement calculé : donc il n’y a point de résistance. Mais qui peut savoir s’il n’y a pas peut-être un million d’autres lois possibles, sans compter la véritable, selon lesquelles les mêmes mouvements s’expliqueraient mieux encore dans un fluide que dans le vide par celle-ci ? L’horreur du vide n’a-t-elle pas longtemps expliqué la plupart des effets qu’on a depuis attribués à l’action de l’air ? D’autres expériences ayant ensuite détruit l’horreur du vide, tout ne s’est-il pas trouvé plein ? N’a-t-on pas rétabli le vide sur de nouveaux calculs ? Qui nous répondra qu’un système encore plus exact ne le détruira pas derechef ? Laissons les difficultés sans nombre qu’un physicien ferait peut-être sur la nature de la lumière et des espaces éclairés ; mais croyez-vous de bonne foi que Bayle, dont j’admire avec vous la sagesse et la retenue en matière d’opinions, eût trouvé la vôtre si démontrée ? En général, il semble que les sceptiques s’oublient un peu sitôt qu’ils prennent le ton dogmatique, et qu’ils devraient user plus sobrement que personne du terme de démontrer. Le moyen d’être cru quand on se vante de ne rien savoir, en affirmant tant de choses ?

Au reste, vous avez fait un correctif au système de Pope, en observant qu’il n’a aucune gradation proportionnelle entre les créatures et le créateur, et que si la chaîne des êtres créés aboutit à Dieu, c’est parce qu’il la tient, et non parce qu’il la termine. Sur le bien du tout préférable à celui de sa partie, vous faites dire à l’homme : Je dois être aussi cher à mon maître, moi être pensant et sentant, que les planètes qui probablement ne sentent point. Sans doute cet univers matériel ne doit pas être plus cher à son auteur qu’un seul être pensant et sentant ; mais le système de cet univers qui produit, conserve et perpétue tous les êtres pensants et sentants, doit lui être plus cher qu’un seul de ces êtres ; il peut donc, malgré sa bonté, ou plutôt par sa bonté même, sacrifier quelque chose du bonheur des individus à la conservation du tout. Je crois, j’espère valoir mieux aux yeux de Dieu que

    met dans son urètre. Rome même allait trembler sous lui mais ce petit gravier, qui n’était rien ailleurs, mis en cet endroit, le voilà mort, sa famille abaissée, et le roi rétabli. » Mais Cromwell est mort d’une fièvre, et non de la pierre ni de la gravelle. (B.)

  1. Rousseau veut sans doute parler de l’Ermite, l’un des personnages de Zadig ; voyez tome XXI, page 86.