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2596. — COPIE DE MA LETTRE À M. FREYTAG
envoyée à m. de la touche.[1]
À Francfort, ce 23 juin.

Je ne conçois pas, monsieur, votre colère dans notre malheur. Je ne peux avoir rien dit de désagréable à votre laquais, puisque je ne sais pas l’allemand. Je lui ai dit dans les termes qu’on m’a fournis, que ma nièce était ce matin dans des convulsions mortelles, et que le docteur Muller était avec elle. Vous aurez sans doute compassion de la veuve d’un gentilhomme officier d’un grand roi, qui fait deux cents lieues pour conduire son oncle aux eaux, et qui se voit traînée à pied en prison au milieu de la populace, à qui on refuse sa femme de chambre, et auprès de laquelle on fait rester votre secrétaire pendant la nuit, avec quatre soldats à sa porte ; et que vous retenez encore prisonnière, sans qu’elle ait fait autre chose que d’implorer pour moi la miséricorde du roi, et de répandre devant vous et devant M. Schmid des larmes inutiles.

Je vous réitère, monsieur, que j’ai obéi avec la plus profonde soumission aux ordres du roi, que vous m’avez donnés de bouche.

    au plus ancien bourgmestre ; ces gracieuses lettres portaient qu’il fallait, à l’amiable, retirer à Voltaire l’ordre pour le Mérite, la clef de chambellan et toutes les lettres et écrits du roi, notamment un certain volume intitulé Œuvres de poésies ; en cas d’un refus d’obtempérer de la part de Voltaire, on devait le menacer d’arrestation, et en cas de résistance l’arrêter réellement. Lors de l’exécution de cet ordre, Voltaire a tantôt montré de la bonne volonté, tantôt de la résistance ; enfin nous sommes convenus avec lui que les quelques lettres trouvées sur lui seraient envoyées à la cour, qu’on attendrait la décision du roi à ce sujet, qu’on ferait venir ici les ballots, où pourraient se trouver les autres lettres manquantes et surtout les Œuvres de poésies susmentionnées, et que jusque-là lui, de Voltaire, resterait dans sa chambre prisonnier sur parole. Néanmoins lui. Voltaire, n’a pas attendu, et, violant sa parole, il s’est enfui ; mais à la suite de bonnes précautions il a été arrête à la barrière de la porte de Bockenheim. En conséquence, les conseillers soussignés présentent au plus ancien bourgmestre, très-haut et très-bien né, cette requête rédigée à la hâte, et par laquelle ils le prient d’arrêter maintenant réellement ledit Voltaire, fugitif, et de le faire garder à l’hôtel de la Corne de bouc jusqu’à l’arrivée des ordres ultérieurs du roi, qui aura lieu probablement demain. L’incident est tout à fait imprévu, et il s’agit de papiers royaux, qu’on estime souvent plus que des territoires et bien de l’argent : donc les soussignés espèrent que leur requête sera accueillie, et ils se portent caution de tous les frais que pourrait occasionner cette arrestation, et ils s’engagent à fournir en temps voulu la requête royale et, le cas échéant, les lettres reversales.

  1. Éditeur, Th. Foisset. — Cela paraît être une amplification de la lettre 2594.