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vous de plus ? Vous êtes trop honnête homme pour ne pas adoucir le sort d’une femme respectable et infortunée. Nous comptons sur un peu de pitié, et nous sommes prêts à tout faire pour la mériter, etc. V.

    je lui fis savoir que je prendrais d’autres mesures ; enfin il éclata, et, oubliant l’honneur, il invoqua le susdit billet, donné pro forma, et il se rendit auprès du conseiller Schmid, auquel il fit la même déclaration.


    Cependant comme il aurait volontiers vu ouvrir le ballot que j’avais chez moi, et qu’il tenait à ce qu’on lui en délivrât le contenu, sauf le volume, tout en ne sachant pas au juste si ce volume se trouvait dans le ballot, il vint chez moi en compagnie de son secrétaire et du conseiller Schmid, qui dut au préalable bien lui promettre que je ne le ferai pas arrêter. Il s’excusa d’être sorti de l’hôtel, et demanda que j’ouvrisse le ballot, ne réclamant que ses œuvres. En même temps il joua le malade, plus fort que Molière, et fit de telles grimaces que le conseiller Schmid lui-même opina pour que j’ouvrisse le ballot. Moi, au contraire, je voulais le garder prisonnier dans ma maison jusqu’à jeudi, jour où devait arriver l’ordre de Sa Majesté. Jusqu’alors il n’avait pas aperçu mon secrétaire, il le vit dans l’antichambre, revêtu d’un habit vert ; je remarquai à son air qu’il le prenait pour un archer ; il changea tout à coup de ton, reconnut, ainsi que son secrétaire, que le billet avait été donné pro forma, et déclara qu’il fallait mettre tout sur le compte de sa faiblesse, qu’il ne savait pas ce qu’il faisait. Il me promit sous serment, en me donnant la main, qu’il resterait prisonnier sur parole jusqu’à jeudi ; et je le laissai repartir pour son hôtel. Mais ce nouveau serment, il l’a violé mercredi, comme je viens de le mentionner, et, sous le prétexte du billet donné pro forma, il s’est esquivé.

    Je reviens au bourgmestre.

    Celui-ci me fit d’abord beaucoup de difficultés, et parce que la requête royale faisait défaut, et parce que M. de Voltaire se trouvait au service du roi de France. Mais ma « présence » et la requête ci-jointe sub C (qui ne fut toutefois expédiée et signée par nous deux que le lendemain) firent, malgré toutes les menées de Voltaire, que le bourgmestre confirma l’arrestation et promit l’extradition contre les « reversales » ordinaires. Cette ordonnance provisoire du bourgmestre fut confirmée, jeudi matin, par une décision du conseil in pleno, et à moi transmise par un secrétaire de la ville avec l’assurance de la déférence la plus invariable et la plus soumise envers Sa Majesté. Si je devais rapporter toutes les « menées » vraiment remarquables de Voltaire pendant son arrestation, il me faudrait encore plusieurs feuilles de papier. Je ne puis toutefois passer ceci sous silence. De retour à la barrière avec l’ordre du bourgmestre, j’appris que Voltaire avait utilisé le temps à détruire une partie de ses papiers. Je lui proposai de le prendre chez moi, où il garderait les arrêts jusqu’au lendemain. Il se plaça alors dans le carrosse d’État à six glaces avec lequel j’étais allé et venu, et il me remit toutes ses richesses à ce qu’il disait. Il avait en effet une cassette que mon domestique pouvait à peine soulever. Cependant lorsqu’il s’agit de partir, il déclara qu’il préférait être ouvertement prisonnier que séquestré dans ma maison. Je fis donc marcher quelques hommes autour du carrosse, et j’allai, moi, quasi comme un prisonnier aussi, dans une voiture ouverte, à travers la ville, où l’affluence devint alors excessivement grande.

    Le propriétaire du Lion-d’Or ne voulant plus avoir Voltaire dans sa maison à cause de son incroyable parcimonie, je le déposai chez M. le conseiller aulique Schmid, résolu à ne rien décider sans ses bons conseils et son acquiescement au mode de captivité qui serait désormais appliqué au prisonnier. De retour en ville,