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2594. — À M. LE BARON DK FREYTAG[1].

J’apprends, monsieur, que vous êtes en colère contre moi, sur ce que votre laquais vous a rapporté. Je vous supplie de considérer que je n’entends point l’allemand, que je lui ai dit dans les termes qu’on m’a fournis que Mme  Denis était dans des convulsions qui me font craindre pour sa vie. Je vous conjure, monsieur, de représenter à Sa Majesté notre état déplorable et notre soumission. J’ai fait tout ce que vous m’avez prescrit, que voulez

    choses, en face, que je lui avais fait demander 1.000 Ihalers pour le laisser aller. Il nia ses engagements, et il m’a dit même qu’il avait été plusieurs fois chez moi. Le jeune secrétaire, qui en définitive paraît avoir beaucoup d’ « esprit », confirma tout cela avec une « effronterie » comme je n’en avais pas encore vu au monde. Je les abandonnai à la garde du sous-officier qui commandait à six hommes, et je volai à la grande garde, et de là chez le bourgmestre. Avant de continuer, je dois vous informer d’un incident sur lequel Voltaire fonde toutes ses grimaces. Lorsque le 1er juin je procédai avec lui à la première opération, c’est-à-dire lorsqu’il promit sous serment de rester prisonnier sur parole jusqu’à l’arrivée des ordres de Sa Majesté et de tous ses ballots (en effet il s’était trouvé si peu de manuscrits du roi, et cependant dans la trés-gracieuse lettre de Sa Majesté, il était question de beaucoup de lettres et écrits), ce jour-là donc j’étais resté de neuf heures du matin à cinq heures du soir sans prendre une bouchée, j’étais tellement exténué que finalement me trouvant à moitié malade j’eus grand’pitié de lui, et je pris ses contorsions et ses tartufferies pour des vérités, et je le considérai comme un honnête homme. Je ne me fiai donc pas tant à sa lettre reversale qu’à sa parole, d’autant plus que j’avais deux témoins. Lorsque l’enquête fut terminée, au moment où je l’avais consolé et où j’allais le quitter, il me pria en grâce de lui écrire pour la forme un billet portant que, dés que le ballot avec le livre arriverait, il pourrait aller où bon lui semblerait, afin de mander cela en guise de consolation à sa nièce et future héritière, qui était à Strasbourg : « Sans cela, dit-il, lorsqu’elle apprendra l’affaire, elle s’effrayera jusqu’à la mort, ou tout au moins sera prise d’une grande maladie. » Je fus assez miséricordieux pour lui donner ce billet, dont l’original est ci-joint sub A : lors de la récente arrestation il fut forcé de me le restituer bon gré, mal gré, après avoir par mille mensonges affirmé qu’il était perdu. J’avais écrit ce billet pour le maintenir en bonne humeur et ne pas avoir à procéder à une arrestation publique ; de plus, je ne pensais pas que ce ballot de Hambourg arriverait plus tôt que la résolution de Sa Majesté. Mais voilà que contre toute attente ce ballot me parvient dès lundi 18. Voltaire en fut aussitôt informé, et en une heure il m’expédia, à plusieurs reprises, presque avec importunité, son secrétaire pour que j’ouvrisse le ballot ; je le priai de patienter, les lettres de Berlin arrivant ici le lundi. En effet, vers onze heures, je reçus votre honorée du 11 ; je lui envoyai le billet (ci-joint sub B) pour l’adoucir et le faire attendre jusqu’à jeudi. Mais cela ne le contenta pas ; le même jour encore il sortit ; le mardi matin il en fit de même ; mon espion me rapporta qu’il avait fait porter sa grande cassette au quartier du duc de Meiningen. Je fis semblant d’ignorer ces démarches ; mais

  1. Éditeur, Varnbagen von Ense.