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fait le voyage de Francfort pour venir me consoler ; qui comptait venir se jeter à vos pieds avec moi pour implorer votre médiation ; une femme, respectée et honorée dans Paris, vient d’étre conduite en prison par le commis de M. Freytag, résident de Sa Majesté le roi votre frère. Cet homme vient de la traîner au nom du roi, au milieu de la populace, dans la même maison où l’on m’a fait transférer ; on lui a ôté sa femme de chambre et ses laquais, quatre soldats sont à sa porte, le commis passe la nuit dans sa chambre. En voici la raison :

Lorsque M. Freytag m’arrêta au nom du roi, le 1er juin, je lui remis toutes les lettres que j’avais pu conserver de Sa Majesté. Il me demanda le volume des poésies du roi ; il était dans une caisse qui devait partir de Leipsick pour Hambourg. M. Freytag me signa deux billets conçus en ces termes :

« Sitôt le grand ballot sera revenu et l’œuvre de poésie que le roi redemande rendu à moi, vous pourrez partir où bon vous semblera. »

Le livre en question arriva le 17 au soir ; j’ai voulu partir aujourd’hui 20, ayant satisfait à tous mes engagements. On a arrêté mon secrétaire, ma nièce et moi. Nous avons douze soldats aux portes de nos chambres. Ma nièce, à l’heure que j’écris, est dans les convulsions. Nous sommes persuadés que le roi n’approuvera pas cette horrible violence.

Daignez, madame, lui envoyer cette lettre. Daignez l’assurer qu’au milieu d’un malheur si inouï je mourrai plein de la même vénération et du même attachement pour sa personne. Je lui demande encore très-humblement pardon de mes fautes. J’avais toujours pensé qu’il daignerait permettre que je tâchasse de me défendre contre Maupertuis. Mais si cela lui déplaît, il n’en sera plus jamais question. Encore une fois, madame, jamais mon cœur n’a manqué, ni ne manquera au roi. Et il sera toujours rempli pour Votre Altesse royale du respect le plus profond et le plus tendre.

Hélas ! c’était autrefois frère Voltaire.


2586. — DE M. DAME DENIS À FRÉDÉRIC II.
À Francfort, le 21 juin[1] au matin.

Sire, je ne devais pas m’attendre à implorer pour moi-même la justice et la gloire de Votre Majesté. Je suis enlevée de mon auberge au nom de

  1. La copie de cette lettre, que j’ai eue sous les yeux, contient deux notes de