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ment ; mais mon pauvre Pope, mon pauvre bossu, que j’ai connu, que j’ai aimé, qui t’a dit que Dieu ne pouvait te former sans bosse ? Tu te moques de l’histoire de la pomme ! Elle est encore (humainement parlant, et faisant toujours abstraction du sacré), elle est plus raisonnable que l’optimisme de Leibnitz, elle rend raison pourquoi tu es bossu, malade, et un peu malin.

On a besoin d’un Dieu, qui parle au genre humain. L’optimisme est désespérant, c’est une philosophie cruelle sous un nom consolant. Hélas ! si tout est bien quand tout est dans la souffrance, nous pouvons donc encore passer dans mille mondes, où l’on souffrira, et où tout sera bien ; on ira de malheurs en malheurs, pour être mieux, et si tout est bien, comment les Leibnitziens admettent-ils un mieux ? Ce mieux n’est-il pas une preuve que tout n’est pas bien ? Eh ! qui ne sait que Leibnitz n’attendait pas ce mieux ? Entre nous, mon cher monsieur, et Leibnitz et Shaftesbury, et Bolinghroke, et Pope, n’ont songé qu’à avoir de l’esprit. Pour moi, je souffre et je le dis ; et je vous dis avec la même vérité que j’ai grande envie d’aller à Berne vous remercier de vos bontés et de celles de M. de Freudenreich. Vous savez toutes les nouvelles : tout est bien en France, Mme de Pompadour est dévote, et a pris un jésuite pour confesseur. V.


3127. — À M. THIERIOT.
À Monrion, 29 février.

Je reçois, mon ancien ami, votre lettre du 21. Vous devez avoir à présent, par Mme de Fontaine, le sermon que prêche le père Liébaut[1], tel que je l’ai fait, et qui est fort différent de celui qu’on débite. Vous êtes mon plus ancien paroissien, et c’est pour vous que la parole de vie[2] est faite. Je n’ai guère à présent le loisir de penser à Mme Jeanne, et je suis trop malade pour rire. Le tableau[3] des sottises du genre humain, depuis Charlemagne jusqu’à nos jours, est ce qui m’occupe, et je trempe mon pinceau dans la palette du Caravage quand je suis mélancolique. Je ne sais s’il y a dans ce tableau beaucoup de traits plus honteux pour l’humanité que de voir deux nations éclairées[4] se couper la gorge, en Europe, pour quelques arpents de glace et de neige dans l’Amérique.

  1. Voyez la lettre 3103.
  2. Jean, vi, 69 ; et Luc, Actes des apôtres, v. 20.
  3. L’Essai sur l’Histoire générale.
  4. La France et l’Angleterre ; voyez tome XV, page 336.