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Le pauvre Châteaubrun est tombé : aussi pourquoi, lorsqu’on a eu le bonheur de réussir dans deux pièces médiocres, en donner, coup sur coup, une troisième, moins bonne que les premières ? Pour un homme de soixante-dix ans, c’est une furieuse imprudence. Adieu, monsieur, je souliaite que l’Orphelin vous dédommage. Jouiez-vous dans Astyanax ? Mlle  Clairon y jouait-elle ?. Mandez-moi cela ; faites-moi l’amitié aussi de me dire quels sont les acteurs qui joueront dans la pièce de La Noue ; on a beau être loin de Paris, on s’intéresse toujours à lui ; mais je m’intéresse encore bien plus à vous et à vos succès. Continuez, monsieur, de plaire au public et d’aimer vos amis : pour moi, je serai toujours des vôtres ; j’aime passionnément vos talents, et j’estime votre cœur et votre façon de penser. Conservez-moi votre amitié, et ne doutez jamais de la mienne : elle est à vous pour ma vie.

Denis.

3102. — À M. BERTRAND,
à berne.
À Monrion, 24 janvier.

Pour répondre à votre difficulté, mon cher monsieur, sur l’histoire de Jeanne d’Arc, je vous dirai que, quelques années après sa mort, il y eut une grosse créature fraîche, belle et hardie, accompagnée d’un moine, qui alla s’établir à Toul, et se dit la Pucelle d’Orléans, échappée au bûcher. Le moine contait par quel miracle cette évasion s’était opérée ; on leur fit un grand festin dans l’hôtel de ville, et les registres en font foi. L’illusion alla si loin qu’un homme de la maison des Armoises épousa cette aventurière, croyant épouser la Pucelle d’Orléans ; et c’est de ce mariage que descend le marquis des Armoises d’aujourd’hui. Voilà pourquoi, monsieur, on a prétendu, en Lorraine, que la Sorbonne et les Anglais n’avaient point consommé leur crime, et que la Pucelle d’Orléans, pucelle ou non, n’avait point été brûlée[1]. Cette aventure n’est point extraordinaire dans un temps où il n’y avait point de communication d’une province à une autre, et où l’on faisait son testament quand on entreprenait le voyage de Nancy à Paris.

Je reçois dans le moment votre lettre, et celle de cet autre aventurier qui va chercher de nouveaux malheurs chez les Vandales. Sa conduite paraît d’un fou, et son billet est d’un Gascon. Mais ce n’est pas sa folie, c’est son malheur qu’il faut soulager. Je vous remercie de tout mon cœur des dix écus que vous avez eu la bonté de lui donner de ma part. Vous avez poussé trop loin la

  1. Voyez tome XXIV, page 502.