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déjà paru dans les feuilles littéraires de Genève, et je me flatte que votre gazette voudra bien s’en charger. C’est un nouveau préservatif que je suis obligé de donner contre cet ancien poëme de la Pucelle, qu’on renouvelle si mal à propos, et qu’on a déjà défiguré dans trois éditions qui paraissent à la fois. Tout ce que je peux faire, c’est de désavouer cet ouvrage. J’empêche, autant que je peux, qu’il ne paraisse à Genève ; je sens bien que mes efforts seront inutiles. J’en connais une édition qui n’est pas sûrement faite par Maubert, car le libraire qui était en marché à Francfort a mandé que la copie de Maubert était en douze chants, et l’édition dont je vous parle est en quinze. Mme  la duchesse de Saxe-Gotha, qui l’a lue, m’a fait l’honneur de me mander, comme je crois vous l’avoir déjà dit, que cet ouvrage l’avait beaucoup amusée, et que tout libre qu’il est, il ne contient aucune de ces indécences qu’on m’avait fait craindre ; mais enfin c’est un ouvrage libre, et cela seul suffit pour qu’un homme de soixante ans passés, qui a l’esprit de son âge, soit très-fàché de se voir ainsi compromis. Je suis aussi fâché que l’est le Grondeur, à qui on veut faire danser la courante.

Si j’étais plus jeune, et si j’aimais encore la poésie, je serais tenté de faire un petit poème épique sur le roi Nicolas Ier. Vous savez sans doute qu’on prétend qu’un jésuite s’est enfin déclaré roi du Paraguai, et que ce roi s’appelle Nicolas. On m’a envoyé des vers à la louange de Nicolas ; les voici :


Du bon Nicolas premier
Que Dieu bénisse l’empire ;
El qu’il lui daigne octroyer,
Ainsi qu’à son ordre entier,
La couronne du martyre !

J’ai reçu une Ode sur la Mort, qui m’est adressée. On la dit du roi de Prusse ; elle est imprimée à la Haye, avec ce titre, qu’on met ordinairement aux ouvrages du roi de Prusse : De main de maître, et une couronne pour vignette. Je ne l’enverrai pourtant pas au conseil de Berne, comme Maupertuis a envoyé les lettres du roi de Prusse ; je me contenterai d’apprendre tout doucement à mourir, et je mourrai assurément plein d’estime et de tendresse pour vous. Je vous embrasse de tout mon cœur, et je vous avertis que je veux vivre encore ce printemps pour venir vous dire à Berne combien je vous aime.