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à Lausanne ? Vous seul serez capable de me déterminer à habiter Monrion. Je suis bien incapable de répondre aux vers flatteurs de Mme  de Brenles ; le chagrin étouffe le génie. On me mande de tous côtés que la Pucelle est imprimée, mais on ne me dit point où ; tout ce que je sais, c’est que ce galant homme de capucin[1] en a proposé treize chants à Francfort à un libraire nommé Esslinger ; mais il voulait les vendre si cher que le libraire a refusé le marché ; il est allé les faire imprimer ailleurs. Saint François d’Assise vous a envoyé là un bien vilain homme.

Mme  Denis et moi, nous vous assurons de notre tendre attachement ; nous en disons autant à Mme  de Brenles. V.


3041. — À M. BERTRAND.
24 octobre.

La mort de M. de Giez me pénètre de douleur ; me voilà banni pour quelque temps de ma maison, où il est mort. Ah ! mon cher monsieur, qui peut compter sur un moment de vie ! Je n’ai jamais vu une santé plus brillante que celle de ce pauvre Giez ; il laisse une veuve désolée, un enfant de six ans, et peut-être une fortune délabrée, car il commençait. Il avait semé, et il meurt sans recueillir ; nous sommes environnés tous les jours de ces exemples. On dit : Il est mort, et puis, serre la file ; et on est oublié pour jamais. Je n’oublierai point mon pauvre Giez, ni sa famille. Il m’était attaché ; il m’avait rendu mille petits services ; je ne retrouverai, à Lausanne, personne qui le remplace. Je vois qu’il faudra remettre au printemps mon voyage de Berne ; c’est être bien hardi que de compter sur un printemps.

Ce capucin, digne ou indigne, a été proposer à Francfort son manuscrit de la Pucelle, à un libraire nommé Esslinger ; mais il en a demandé un prix si exorbitant que le libraire n’a point accepté le marché ; il est allé faire imprimer sa drogue ailleurs. Je crois qu’il la dédiera à saint François.

Une grande dame[2] d’Allemagne m’a mandé qu’elle avait un exemplaire imprimé de cette ancienne rapsodie. Il faut que ce ne soit pas celle de Maubert, car elle prétend que l’ouvrage n’est pas trop malhonnête, et qu’il n’y a que les âmes dévotes à saint Denis, à saint Georges, et à saint Dominique, qui en puissent être scan-

  1. Maubert de Gouvest, alors calviniste ; voyez la lettre 2962.
  2. Probablement Mme  de Buchwald (voyez la lettre 2559).