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mais il y a peu de ces grandes âmes qui conservent si longtemps le feu sacré de Prométhée. Il y a d’ailleurs un petit obstacle à l’entreprise que vous me proposez, c’est que l’ouvrage n’est plus entre mes mains ; je m’en suis défait comme d’une tentation. Je me suis mis gravement à juger les nations[1], dans une espèce de tableau du genre humain, auquel je travaille depuis longtemps, et je ne me sens pas l’agilité de passer de la salle de Confucius à la maison de Mme Pâris. J’ai lu les Mémoires de Mme de Staal ; elle paraît plus occupée des événements de la femme de chambre que de la conspiration du prince de Cellamare. On dit que nous aurons bientôt les Mémoires de Mlle Rondet, fille suivante de Mme de Staal.

Vous ne pouviez vous défaire de vos Anglais et de vos Italiens en de meilleures mains qu’en celles de M. le comte de Lauraguais[2]. Le vieux Protagoras, ou Diagoras-Dumarsais, m’a répondu de lui.

Je vous embrasse de tout mon cœur,


3032. — À MADEMOISELLE CLAIRON.
Aux Délices, 8 octobre.

J’ai beaucoup d’obligations, mademoiselle, à M. et à Mme d’Argental ; mais la plus grande est la lettre que vous avez eu la bonté de m’écrire. J’ai fait ce que j’ai pu pour mériter leur indulgence, et je voudrais bien n’être pas tout à fait indigne de l’intérêt qu’ils ont daigné prendre à un faible ouvrage, et des beautés que vous lui avez prêtées ; mais, à mon âge, on ne fait pas tout ce qu’on veut. Vous avez affaire, dans cette pièce, à un vieil auteur et à un vieux mari, et vous ne pouvez échauffer ni l’un ni l’autre. J’ai envoyé à M. d’Argental quelques mouches cantharides pour la dernière scène du quatrième acte, entre votre mari et vous ; et comme j’ai, selon l’usage de mes confrères les barbouilleurs de papier, autant d’amour-propre que d’impuissance, je suis persuadé que cette scène serait assez bien reçue, surtout si vous vouliez réchauffer le vieux mandarin par quelques caresses dont les gens de notre âge ont besoin, et l’engager à faire, dans cette occasion, un petit effort de mémoire et de poitrine.

Au reste, mademoiselle, je vous supplie instamment de vouloir-

  1. Allusion à l’Essai sur les Mœurs et l’Esprit des nations.
  2. À qui est dédiée l’Écossaise ; voyez tome V.