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3030. — À M. BERTRAND.
30 septembre.

Voici, mon cher monsieur, une petite anecdote littéraire assez singulière. M. le conseiller de Bonstetten et moi, nous sommes les seuls qui ayons eu l’idée de parler de Confucius dans l’Orphelin de la Chine, d’étonner et de confondre un Tartare (et il y a beaucoup de Tartares en ce monde) par l’exposition de la doctrine aussi simple qu’admirable de cet ancien législateur. Il était impossible de faire paraître Confucius lui-même, du temps de Gengis-kan, puisque ce philosophe vivait six cents ans avant Jésus-Christ ; mais ma première intention avait été de représenter Zamti comme un de ses descendants, et de faire parler Confucius en lui. On me fit craindre le ridicule que le parterre de Paris attache presque toujours aux choses extraordinaires, et surtout à la sagesse. Je me privai de cette source de vraies beautés dans une pièce qui, étant pleine de morale et dénuée de galanterie, courait grand risque de déplaire à ma nation. La faveur qu’elle a obtenue m’enhardit, mais m’enhardit trop tard. Je vis tout ce qui manquait à cet ouvrage quand il fut imprimé ; je repris mes anciennes idées, et j’y travaillais quand je reçus votre lettre du 26 septembre. J’ai déjà corrigé tant de choses à la pièce que je ne craindrais point de la refondre pour professer hardiment la morale de Confucius dans mon sermon chinois. Tous ceux à qui j’ai fait part de cette entreprise l’ont approuvée avec transport. Mais M. de Bonstetten est le seul qui ait eu le mérite de l’invention. Je ne peux m’empêcher d’admirer la justesse et la force de l’esprit d’un homme qui, occupé de choses si différentes, trouve tout d’un coup, à la seule lecture d’une tragédie, la beauté essentielle qui devait caractériser la pièce. Voilà bien un nouveau motif qui m’attache à Berne, et qui me donne de nouveaux regrets. Je ne peux aller à Monrion, que j’ai cédé pour longtemps à M. de Giez et à sa famille. Qu’il y rétablisse sa santé ; qu’il y demeure tant qu’il voudra, ma maison est à lui. Je suis d’ailleurs plus malade que jamais à mes prétendues Délices ; et, depuis quelques jours, je me trouve dans l’impuissance totale de travailler.

Il est vrai, mon cher philosophe, que je badinais à trente ans ; j’avais traduit le commencement de cet Hudibras[1] et peut-être cela était-il plus plaisant que celui dont vous me parlez. Pour

  1. Voyez cette traduction ou imitation, tome XXII, page 171.