Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome38.djvu/460

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

consolent[1] ; elles vous servent, monsieur, dans le temps que vous écrivez contre elles ; vous êtes comme Achille, qui s’emporte contre la gloire, et comme le père Malebranche, dont l’imagination brillante écrivait contre l’imagination[2].

Si quelqu’un doit se plaindre de lettres, c’est moi, puisque, dans tous les temps et dans tous les lieux, elles ont servi à me persécuter ; mais il faut les aimer malgré l’abus qu’on en fait, comme il faut aimer la société dont tant d’hommes méchants corrompent les douceurs ; comme il faut aimer sa patrie, quelques injustices qu’on y essuie[3] ; comme il faut aimer et servir l’Être suprême, malgré les superstitions et le fanatisme qui déshonorent si souvent son culte.

M. Chappuis m’apprend que votre santé est bien mauvaise ; il faudrait la venir rétablir dans l’air natal, jouir de la liberté, boire avec moi du lait de nos vaches, et brouter nos herbes.

Je suis très-philosophiquement et avec la plus tendre estime, etc.


3001. — À MADAME DE FONTAINE.
Aux Délices, 6 septembre.

Je suis pénétré de tout ce que vous faites, ma très-chère nièce. On a travaillé, pendant mon absence, à rendre la pièce moins indigne du public ; on a pu la raccommoder, on a pu la gâter : cela prouve qu’il ne faut jamais donner des tragédies de si loin, et que les absents ont tort. Il est certain que, si l’on imprimait la pièce dans l’état où elle est aux représentations, on la sifflerait à la lecture ; mais c’est le moindre des chagrins qu’il faut que j’essuie. Ils sont bien adoucis par vos soins, par vos bontés, par votre amitié, M. Delaleu payera, sur vos ordres, les copies[4] que vous faites faire pour moi.

Tout ce que je demande, c’est qu’on me laisse mourir tranquille dans l’asile que j’ai choisi, et que je puisse vous y embrasser avant de mourir.

Nous avons ici un médecin[5] beau comme Apollon et savant

  1. Var. : la consolent ; et elles font même votre gloire dans le temps que vous écrivez contre elles. Vous êtes comme Achille.
  2. Dans le Mercure d’octobre 1755, immédiatement après le mot imagination, vient l’alinéa qui commence par ces mots : M. Chappuis, etc.
  3. C’est ici que finissait la lettre dans l’édition qui est à la suite de l’Orphelin de la Chine, Paris, Lambert, 1755, in-12. Ce qui termine l’alinéa fut ajouté en 1756. (B.)
  4. De la Pucelle, telle que Voltaire l’avait composée. (Cl.)
  5. Tronchin, dont Voltaire parla toujours avec le langage de l’amitié.