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tés ; je les sens mille fois plus vivement que je ne sentirais le succès le plus complet. Les magots chinois iront comme ils pourront ; on les brisera, on les cassera, on les mettra sur sa cheminée ou dans sa garde-robe, on en fera ce qu’on voudra ; mon cœur est flétri, mon esprit lassé, ma tête épuisée. Je ne puis, dans mes violents chagrins, que vous faire les plus tendres remerciements. C’est vous qui avez prévenu le mal. Vous avez été à cent lieues mon véritable ange gardien. Ce Grasset, ce maudit Grasset, est un des plus insignes fripons qui infectent la littérature. J’ai essuyé un tissu d’horreurs. Enfin ce misérable, chassé d’ici, s’en est allé avec son manuscrit infâme, et on ne sait plus où le prendre. Je n’ai jamais vu de plus artificieux et de plus effronté coquin.

À l’égard de cet autre animal de Prieur, qui dispose insolemment de mon bien, sans daigner seulement m’en avertir, j’ai écrit à Mme  de Pompadour et à M. d’Argenson. L’un ou l’autre a été volé, et il leur doit importer de savoir par qui ; d’ailleurs, il s’agit de la gloire du roi, et ni l’un ni l’autre ne seront indifférents. Enfin, mon cher ange, je suis vexé de tous côtés depuis un mois. La rapine et la calomnie me sont venues assaillir au pied des Alpes dans ma solitude. Où fuir ? il faudra donc aller trouver l’empereur de la Chine. Encore trouverai-je là des jésuites qui me joueront quelque mauvais tour. Ma santé n’a pas résisté à toutes ces secousses. Il ne me reste de sentiment que pour vous aimer ; je suis abasourdi sur tout le reste. Adieu ; pardonnez-moi, je ne sais plus où j’en suis. Adieu ; votre amitié sera toujours ma consolation la plus chère. Je baise très-douloureusement les ailes de tous les anges.


2997. — À M. COLINI,
à paris.
Au Délices, 29 août.

Laissez là le Prieur et toutes ses pauvretés ; et quand vous serez rassasié de Paris, mandez-le-moi, mon cher Colini, je vous enverrai un petit mandement[1]. Vous ne m’avez point parlé de votre Florentine ; je ne sais comment elle en a usé avec vous. Vous ne me parlez que de Chinois ; je souhaite qu’ils vous amusent ; mais je crois que vous avez trouvé, à Paris, de quoi vous

  1. Ce mandement de Voltaire était un mandat que l’auteur de l’Orphelin offrait à son secrétaire, sur son notaire, ou quelque banquier, à Paris. (Cl.)