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2565. — À M. KŒNIG.
Francfort, juin.

Votre martyr est arrivé à Francfort, dans un état qui lui fait envisager de fort près le pays où l’on saura le principe des choses, et ce que c’est que cette force motrice sur laquelle on raisonne tant ici-bas, mais dont je suis presque privé. J’ai été, comme je vous l’ai mandé, désabusé des idées fausses que vos adversaires avaient données sur la vitesse vraie et sur la vitesse propre. Il est plus difficile de se détromper des illusions de ce monde, et des sentiments qui nous y attachent jusqu’au dernier moment. J’en éprouve d’assez douloureux pour avoir pris votre parti ; mais je ne m’en repens pas, et je mourrai dans ma créance. Il me paraît toujours absurde de faire dépendre l’existence de Dieu d’a plus b divisé par z[1].

Où en serait le genre humain s’il fallait étudier la dynamique et l’astronomie pour connaître l’Être suprême ? Celui qui nous a créés tous doit être manifeste à tous, et les preuves les plus communes sont les meilleures, par la raison qu’elles sont communes ; il ne faut que des yeux, et point d’algèbre, pour voir le jour.

Dieu a mis à notre portée tout ce qui est nécessaire pour nos moindres besoins ; la certitude de son existence est notre besoin le plus grand. Il nous a donné assez de secours pour le remplir ; mais comme il n’est point du tout nécessaire que nous sachions ce que c’est que la force, et si elle est une propriété essentielle ou non à la matière, nous l’ignorons, et nous en parlons. Mille principes se dérobent à nos recherches, parce que tous les secrets du Créateur ne sont pas faits pour nous.

On a imaginé, il y a longtemps, que la nature agit toujours par le chemin le plus court, qu’elle emploie le moins de force et la plus grande économie possible ; mais que répondraient les partisans de cette opinion à ceux qui leur feraient voir que nos bras exercent une force de près de cinquante livres pour lever un poids d’une seule livre ; que le cœur en exerce une immense pour exprimer une goutte de sang ; qu’une carpe fait des milliers d’œufs pour produire une ou deux carpes ; qu’un chêne donne un nombre innombrable de glands qui souvent ne font pas naître un seul chêne ? Je crois toujours, comme je vous le

  1. Voyez tome XXIII, page 566.