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a de bon on fait de lettres que celles de change. J’ai dépensé plus de quarante mille écus depuis que je suis ici ; le reste servira à me faire mourir en paix ailleurs, si la calomnie vient me persécuter au pied des Alpes. Mais je ne conseille pas à ceux qui m’ont rendu de mauvais offices de m’en rendre encore, s’ils ne veulent que je rende leur nom exécrable à la postérité. Je suis un peu en colère, mais j’ai raison.

[1]Voilà donc les Anglais qui prennent nos vaisseaux. Je renvoie mes maçons et mes charpentiers. Pourquoi donc deux nations commerçantes se font-elles la guerre ? Elles y perdent l’une et l’autre. Il est honteux que les négociants de tous les pays n’aient pas établi entre eux la neutralité, comme faisaient autrefois les villes hanséatiques. Il faudrait laisser les rois se battre avec leurs grands diables de soldats, et que le reste du monde se mît enfin à être raisonnable.


2982. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
13 août.

Mon cher ange, je ne suis pas en état de songer à une tragédie ; je suis dans les horreurs de la persécution que la canaille littéraire me fait depuis quarante ans. Vous m’aviez assurément donné un très-bon avis. Ce Grasset était venu de Paris tout exprès pour consommer son iniquité. Il n’est que trop vrai que Chévrier était très-instruit de ce maudit ouvrage et de toute cette manœuvre. Fréron n’en avait parlé dans sa feuille que pour préparer cette belle entreprise. Vous savez de quelles abominations on a farci ce poëme. On a voulu me perdre, et gagner de l’argent. Je n’y sais autre chose que de déférer moi-même tout scandale qu’on voudra mettre sous mon nom, en quelque lieu que je sois. Pour comble de douleurs, on m’apprend que Lyon est infecté d’un premier chant aussi plat que criminel, dans lequel il n’y a pas quarante vers de moi. Mon malheur veut que monsieur votre oncle[2], que je n’ai jamais offensé, ait depuis un an écrit au roi plusieurs fois contre moi, et ait même montré les réponses. Il a trop d’esprit et trop de probité pour m’imputer les misères indignes qui courent ; mais il peut, sans les avoir vues, écouter la calomnie. L’abbé Pernetti m’a écrit de Lyon qu’on me forcerait à

  1. Cet alinéa se trouve déjà dans une lettre que nous avons donnée, d’après MM. de Cayrol et François, sous le n° 2891.
  2. Le cardinal de Tencin qui, en 1754, s’était mal conduit envers Voltaire ; voyez lettre 2818.