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2950. — À LE COMTE D’ARGENTAL.
Aux Délices, 18 juillet.

Vous devez, mon chier ange, avoir reçu et avoir jugé notre Orphelin. Je n’étais point du tout content de la première façon, je ne le suis guère de la seconde. Je pense que le petit morceau ci-joint est moins mauvais que celui auquel je le substitue, et voici mes raisons. Le sujet de la pièce est l’Orphelin ; plus on en parle, mieux l’unité s’en trouve. La scène m’en paraît mieux filée, et les sentiments plus forts. Il me semble que c’était un très-grand défaut que Zamti et Idamé eussent des choses si embarrassantes à se dire, et ne se parlassent point.

Plus la proposition du divorce est délicate, plus le spectateur désire un éclaircissement entre la femme et le mari. Cet éclaircissement produit une action et un nœud ; cette scène prépare celle du poignard, au cinquième acte. Si Zamti et Idamé ne s’étaient point vus au quatrième acte, ils ne feraient nul effet au cinquième : on oublie les gens qu’on a perdus de vue. Le parterre n’est pas comme vous, mon cher ange ; il ne fait nul cas des absents. Zamti, ne reparaissant qu’à la fin seulement, pour donner à Gengis occasion de faire une belle action, serait très-insipide ; il en résulterait du froid sur la scène du poignard, et ce froid la rendrait ridicule. Toutes ces raisons me font croire que la fin du quatrième acte est incomparablement moins mauvaise qu’elle n’était, et je crois la troisième façon préférable à la seconde, parce que cette troisième est plus approfondie. Après ce petit plaidoyer, je me soumets à votre arrêt. Vous êtes le maître de l’ouvrage, du temps, et de la façon dont on le donnera. C’est vous qui avez commandé cinq actes, ils vous appartiennent. Notre ami Lekain doit avoir un habit. Il faudra aussi que Lambert ait le privilège, pour les injures que nous lui avons dites, Mme Denis et moi, et pour l’avoir appelé si souvent paresseux.

Thieriot-Trompette me mande que M. Bouret ne lui a point encore fait remettre son paquet. Il soupçonne que les commis en prennent préalablement copie.

J’en bénis Dieu, et je souhaite qu’il y ait beaucoup de ces copies moins malhonnêtes que l’original défiguré et tronqué qui court le monde. Je suis toujours réduit à la maxime qu’un petit mal vaut mieux qu’un grand. À propos de nouveaux maux, pourriez-vous me dire si un certain livre édifiant contre les Buffon, Pope, Diderot, moi indigne, et ejusdem farinæ homines,