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cour en vers et en prose, quand vous êtes de loisir. Mme  Denis vous assure de tous les sentiments que vous doivent toutes les femmes qui sentent et qui pensent ; et moi, je vous renouvelle, pour toute ma vie, le plus tendre et le plus respectueux attachement.


2946. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Aux Délices, 6 juillet.

Mon cher ange, gardez-vous de penser que le quatrième et le cinquième magot soient supportables ; ils ne sont ni bien cuits ni bien peints. L’Orphelin était trop oublié. Zamti, qui avait joué un rôle principal dans les premiers actes, ne paraissait plus qu’à la fin de la pièce ; on ne s’intéressait plus à lui, et alors la proposition que sa femme lui fait de deux coups de poignard, un pour lui et un autre pour elle, ne pouvant faire un effet tragique, en faisait un ridicule. En un mot, ces deux derniers actes n’étaient ni assez pleins, ni assez forts, ni assez bien écrits. Mme  Denis et moi nous n’étions point du tout contents. Nous espérons enfin que vous le serez. Il faut commencer par vous plaire pour plaire au public. Je vais vous envoyer la pièce. Elle ne sera peut-être pas trop bien transcrite, mais elle sera lisible. Le roi de Prusse m’a repris un de mes petits clercs pour en faire son copiste ; c’était un jeune homme de Potsdam[1]. J’ai rendu à César ce qui appartient à César, et il ne me reste plus qu’un scribe[2] qui a bien de la besogne en vers et en prose. Ce n’est pas une petite entreprise pour un malade de corriger tous ses ouvrages, et de faire cinq actes chinois. Mais, mon cher ange, quel temps prendrez-vous pour faire jouer la pièce ? Pour moi, je vous avoue que mon idée est de laisser passer tous ceux qui se présentent, et surtout de ne rien disputer à M. de Châteaubrun[3]. Il ne faut pas que deux vieillards se battent à qui donnera une tragédie, et il vaut mieux se faire désirer que de se jeter à la tête. J’imagine qu’il faudrait laisser l’hiver à ceux qui veulent être joués l’hiver. En ce cas, il faudrait attendre Pâques prochain, ou jouer à présent nos Chinois, Il y aurait un avantage pour moi à les donner à présent. Ce serait d’en faire la galanterie à Mme  de Pompadour, pour le voyage de Fontainebleau. Il ne m’importe pas que L’Orphelin ait beaucoup

  1. Il s’appelait Villaume : voyez lettre 2933.
  2. Wagnière, alors âgé d’environ quinze ans.
  3. Reçu à l’Académie française le 5 mai précédent, après avoir donné une tragédie de Philoctète en cinq actes (mars 1755).