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sein qu’il m’attribue ; mais je voudrais vous envoyer la véritable copie. Il est vrai qu’il n’y a pas tant de draperie que dans vos portraits ; mais aussi ce ne sont pas les figures de l’Arétin. Darget ne devrait pas avoir cet ouvrage. Il n’en est possesseur que par une infidélité atroce. Les exemplaires qui courent ne viennent que de lui. On en a offert un pour mille écus à M. de La Vallière[1], et c’est M. le duc de La Vallière lui-même qui me l’a mandé. Tout cela est fort triste ; mais ce qui l’est bien davantage, c’est ce que vous me dites de votre santé. Il est bien rare que le lait convienne à des tempéraments un peu desséchés comme les nôtres. Il arrive que nos estomacs font de mauvais fromages qui restent dans notre pauvre corps, et qui y sont un poids insupportable. Cela porte à la tête ; les maudites fonctions animales vont mal, et on est dans un état déplorable. Je connais tous les maux, je les ai éprouvés, je les éprouve tous les jours, et je sens tous les vôtres. Dieu vous préserve de joindre les tourments de l’esprit à ceux du corps ! Si vous voyez notre ami, je vous supplie de le bien relancer sur la belle idée qu’il a eue ; c’est précisément le contraire qui m’occupe. Je cherche à désarmer les mains qui veulent me couper la gorge, et je n’ai nulle envie de me la couper moi-même. Darget m’écrit, à la vérité, que son exemplaire ne paraîtra pas ; mais peut-il empêcher que les copies qu’il a données ne se multiplient ? Adieu ; je tâcherai de ne pas mourir de douleur, malgré la belle occasion qui s’en présente. Je vous embrasse, vous et votre fils, de tout mon cœur.


2941. — À M. THIERIOT[2].
Aux Délices, 19 juin.

Voilà qui va fort bien, mon ancien ami ; mais vous ne me dites point comment il faut faire tenir le petit paquet[3]. M. Darget a un exemplaire détestable, et il ne devrait en avoir aucun. Il y a dans sa copie une quantité énorme de mauvais vers, insérés par un nommé Tinois, moitié fou, moitié poëte, que j’avais mené avec moi à Berlin. Il a vendu son maudit exemplaire cinquante ducats à un grand prince, et ce grand prince aurait bien fait de le jeter au feu.

Voici des vers qui sont de moi, et qui n’en sont pas meilleurs ; rongez cet os-là, en attendant mieux, et continuez à m’aimer.

  1. Voyez la lettre 2949.
  2. Éditeurs, de Cayrol et François.
  3. La Pucelle corrigée.