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frère qui l’a apporté. M. le duc de La Vallière me mande qu’on lui en a offert un exemplaire pour mille écus. Quelles tristes circonstances pour votre beau-frère, pour vous-même, et surtout pour moi ! On a chargé de cet exemplaire un nommé Grasset. Je vous conjure d’écrire à votre beau-frère.

Engagez-le, par tous les motifs qui vous touchent, à retirer les exemplaires qui lui ont échappé, ou du moins à indiquer à qui je dois m’adresser. Je ne sais si je dois écrire au prince Henri, J’attends sur cela vos conseils, quoique le temps presse. Vous êtes au fait, je vous prie de m’y mettre[1]. Votre cœur vous dit quelle est ma triste situation. Tout cela ne contribue pas à guérir un vieux malade. J’attends de vous ma consolation. Je vous embrasse de tout mon cœur.


2936. — À M. DE FORMONT.
Au Délices, 13 de juin.

Mon ancien ami et mon philosophe, je vous regretterai toute ma vie, vous et Mme du Deffant. Elle s’est donc accoutumée à la perte de la vue. Il me reste des yeux, mais c’est presque tout ce qui me reste. Je ne lui écris pas : qu’aurais-je à lui mander de ma solitude ? que je vois de mon lit le lac de Genève, le Rhône, l’Arve, des campagnes, une ville, et des montagnes. Cela n’est pas honnête à dire à quelqu’un qui a perdu deux yeux, et, qui pis est, deux beaux yeux ; mais je voudrais l’amuser, et vous aussi. Je voudrais vous envoyer certain poëme dans le goût de messer Ariosto, qui court dans Paris, indignement défiguré, plein de grossièretés et de sottises. Je veux en faire pour vous une petite copie bien propre, et vous l’envoyer. Vous en connaissez déjà quelque chose ; il est juste que vous l’ayez tout entier, et tel que je l’ai fait, puisque des gens sans goût l’ont tel que je ne l’ai pas fait. Mandez-moi comment, et par qui, je peux vous faire tenir cette ancienne plaisanterie, que je m’amusai à corriger il y a quelques années. Je ne veux pas perdre mes peines ; et c’est en être payé que de faire passer deux ou trois heures à me lire, les gens qui sont capables de bien juger. Notre ami Cideville est de ce petit nombre. S’il est encore à Paris, quand vous aurez cet ancien rogaton, je vous prierai de lui en faire part : car deux copies sont trop longues à faire. J’aimerais mieux vous envoyer

  1. Voyez la réponse de Darget sous le n° 2949.