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gréable avec mon état et mon âge ; et, tel qu’il court le monde, il est horrible à tout âge. Les lambeaux qu’on m’a envoyés sont pleins de sottises et d’impudence ; il y a de quoi faire frémir le bon goût et l’honnêteté ; c’est le comble de l’opprobre de voir mon nom à la tête d’un tel ouvrage. Mme  Denis écrit à M. d’Argenson, et le supplie de se servir de son autorité pour empêcher l’impression de ce scandale. Elle écrit à M. de Malesherbes ; et nous vous conjurons tous deux, mon cher et respectable ami, de lui en parler fortement : c’est ma seule ressource. M. de Malesherbes est seul à portée d’y veiller. Enfin ayez la bonté de me mander ce qu’il y a à craindre, à espérer, et à faire. Veillez sur notre retraite ; mettez-moi l’esprit en repos. Ne puis-je au moins savoir qui est ce possesseur du manuscrit, qui l’a lu à Vincennes tout entier ? si je le connaissais, ne pourrais-je pas lui écrire ? ma démarche auprès de lui ne me justifierait-elle pas un jour ? ne dois-je pas faire tout au monde pour prouver combien cet ouvrage est falsifié, et pour détruire les soupçons qu’on pourrait former un jour que j’ai eu part à sa publication ? Enfin il faut que je sois tranquille pour penser à la Chine : et je ne songerai à Gengis-kan que lorsque vous m’aurez éclairé, au moins sur ce qui me trouble, et que je me serai résigné. Adieu, mon cher ange. Jamais pucelle n’a tant fait enrager un vieillard ; mais j’ai peur que nos Chinois ne soient un peu froids : ce serait bien pis.

Parlez à M. de Malesherbes ; échauffez-moi, et aimez-moi.


2920. — DE MADAME DENIS
à m. le comte d’argensson, ministre de la guerre.
Des Délices, près Genève, 25 mai 1755.

Mon oncle étant trop malade, monseigneur, pour avoir l’honneur de vous écrire, je vous supplie, en son nom et au mien, de vouloir bien employer vos bontés pour nous, votre autorité et votre équité, pour prévenir une chose très-désagréable, sur laquelle je vous ai conté mes craintes depuis si longtemps.

On fait courir dans Paris des morceaux très-informes de ce poëme intitulé la Pucelle, fait il y a plus de vingt années. Comme ces fragments sont imparfaits, chacun se donne la liberté de remplir les lacunes à sa fantaisie. On m’en a envoyé des morceaux dont la licence n’est pas tolérable ; cela est fait par des gens qui ont aussi peu de décence que de goût.

Des libraires cherchent, dit-on, à imprimer ces rapsodies : un ordre de votre part, monseigneur, pourrait prévenir ce scandale.

Nous vous supplions, mon oncle et moi, avec la plus vive instance, de