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aussi confié les quatre chants[1] que je vous ai envoyés. Tirez-moi, je vous prie, de cet embarras.

Je ne sais, mon cher ange, à quoi appliquer ce que vous me dites à propos de ces quatre derniers chants. Il n’y a, ce me semble, aucune personnalité, si ce n’est celle de l’âne. Je sais que, malheureusement, il se glissa dans les chants précédents quelques plaisanteries qui offenseraient les intéressés. Je les ai bien soigneusement supprimées ; mais puis-je empêcher qu’elles ne soient, depuis longtemps, entre les mains de Mlle  du Thil ? C’est là le plus cruel de mes chagrins ; c’est ce qui m’a déterminé à m’ensevelir dans la retraite où je suis. Je prévois que, tôt ou tard, l’infidélité qu’on m’a faite deviendra publique, et alors il vaudra mieux mourir dans ma solitude qu’à Paris. Je n’ai pu imaginer d’autre remède au malheur qui me menace que de faire proposer à Mlle  du Thill[2] le sacrifice de l’exemplaire imparfait qu’elle possède, et de lui en donner un plus correct et plus complet ; mais comment et par qui lui faire cette proposition ? Peut-être M. de La Motte, qui a pris ma maison[3] et qui est le plus officieux des hommes, voudrait bien se charger de cette négociation ; mais voilà de ces choses qui exigent qu’on soit à Paris. Ma tendre amitié pour vous l’exige bien davantage, et cependant je reste au bord de mon lac, et je ne me console que par les bontés de mes anges. Mon cœur en est pénétré.


2914. — À M. THIERIOT.
Aux Délices, le 9 mai.

Je maudis bien mes ouvriers, mon cher et ancien ami, puisqu’ils vous empêchent de suivre ce beau projet si consolant que vous aviez de venir recueillir mes derniers ouvrages et mes dernières volontés.

Je plante et je bâtis, sans espérer de voir croître mes arbres, ni de voir ma cabane finie. Je construis à présent un petit appartement pour Mme  de Fontaine, qui ne sera prêt que l’année qui vient. C’est une de mes plus grandes peines de ne pouvoir la loger cette année ; mais vous, qui pouvez vous passer d’un cabinet de toilette et d’une femme de chambre, vous pourriez encore,

  1. De la Pucelle.
  2. Femme de chambre de Mme  du Châtelet.
  3. Celle de la rue Traversière.