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sont les seules causes du mal que j’ai voulu vous faire, et que je ne vous ai point fait. Leur mort vous a vengé de leurs inspirations, et le peu de fruit des sacrifices que je leur ai faits m’a consolé de leur mort.

Mille gens pourraient vous dire, monsieur, que je vous estime plus que vos partisans les plus zélés, parce que je vous estime moins légèrement et moins aveuglément qu’eux. La preuve en est incontestable. Dauberval, comédien à Lyon, dont vous avez goûté les talents, et dont vous adoreriez le caractère si vous le connaissiez comme moi, peut vous certifier que je le chargeai, trois jours avant votre départ subit et imprévu, des vers que je vous envoie. Je profitais du passage que vous faisiez en cette ville, où je n’étais aussi qu’en passant. Ces vers sont encore plus de saison que jamais, puisque je serai à Genève le 22 de ce mois, et que nous y voilà fixés tous les deux. Je n’ai rien à y ajouter que les offres suivantes.

J’ai fait, en quatre volumes manuscrits, la critique de vos ouvrages ; Je vous la remettrai. Il y a à la tête de ma première comédie[1] une lettre dont Roussel m’écrivit autrefois que vous aviez été choqué ; je la supprimerai dans l’édition que je prépare de mes œuvres. L’abbé Desfontaines a fait imprimer deux pièces de vers qu’il m’avait suggérées contre vous ; je les supprimerai aussi. C’est à ce prix que je veux mériter votre amitié.

Je ferai plus. Mes Œuvres diverses[2] en deux volumes sont dédiées à un gentilhomme du pays de Vaud, qui brûle de vous voir, et que vous serez bien aise de connaître ; pour convaincre le public de la sincérité de mes intentions et de ma conduite à votre égard, je suis prêt, si vous le permettez, à vous dédier mon théâtre en quatre volumes. Je ne crois pas que vous puissiez rien exiger de plus.

Mais, à propos d’édition, il est bien temps, monsieur, que vous pensiez, ainsi que moi, à en faire paraître une de vos ouvrages, sous vos yeux, et de votre aveu. Le public l’attend avec impatience, parce qu’il ne croira jamais vous tenir que vous ne vous donniez vous-même. Vous êtes à Genève en place pour cela ; et je me charge, si vous voulez, d’une partie du matériel de cette impression, comme vous m’avez chargé, à la Haye, il y a plus de trente uns, de la correction des épreuves de la Henriade.

J’envoie copie de cette lettre, et des vers qui l’accompagnent, à M. de Montpéroux, qui m’honore de son estime et de son affection. Je me flatte qu’il voudra bien appuyer le tout. Mais est-il besoin que monsieur le résident joigne sa recommandation à ma démarche ? Ne savez-vous pas, monsieur, qu’il est plus grand de reconnaître ses fautes que de n’en jamais faire, et plus glorieux de pardonner que de se venger ? Je parle à Voltaire, et c’est Merville qui lui parle. Vous voyez que je finis en poëte ; mais ce n’est pas en poëte, c’est en ami, c’est en admirateur, c’est en homme qui pense, que

  1. Les Mascarades amoureuses ; voyez la note, tome XXXIV, page 147.
  2. Je n’ai pu me procurer ces deux volumes. Dans la notice qui est en tête des Œuvres de théâtre de Guyot de Merville, 1766, trois volumes in-12, on rapporte un assez long fragment d’une lettre du gentilhomme du pays de Vaud ; mais on ne donne pas son nom. (B.)