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que les particuliers. Il est triste que le duc de Deux-Ponts[1] ôte à son agent littéraire ce qu’il donne à ses maçons. Je vous conseillerais, pour vous remplumer, de passer un an sur notre lac : vous y seriez alimenté, désaltéré, rasé, porté[2] de Prangins aux Délices, des Délices à Genève, à Morges, qui ressemble à la situation de Constantinople, à Monrion, qui est ma maison près de Lausanne ; vous y trouveriez partout bon vin et bon visage d’hôte ; et, si je meurs dans l’année, vous ferez mon épitaphe. Je tiens toujours qu’il faudrait que M. de Prangins vous amenât avec Mme de Fontaine, à la fin de mai. Je viendrais vous joindre à Prangins dès que vous y seriez, et je me chargerais de votre personne pour tout le temps que vous voudriez philosopher avec nous. Ne repoussez donc pas l’inspiration qui vous est venue de revoir[3] votre ancien ami.

On m’a envoyé quelques fragments de la Pucelle, qui courent Paris ; ils sont aussi défigurés que mon Histoire générale.

On estropie tous mes enfants, cela fait saigner le cœur.

J’attends Lekain ces jours-ci ; nous le coucherons dans une galerie, et il déclamera des vers aux enfants de Calvin. Leurs mœurs se sont fort adoucies ; ils ne brûleraient pas aujourd’hui Servet, et ils n’exigent point de billets de confession.

Je vous embrasse de tout mon cœur, et prends beaucoup plus d’intérêt à vous qu’à toutes les sottises de Paris, qui occupent si sérieusement la moitié du monde.


2895. — À MADAME LA COMTESSE DE LUTZELBOURG.
Aux Délices, 24 mars.

Comment luttez-vous contre la queue de l’hiver, madame, avec votre maudite exposition au nord ? Vous êtes sur les bords du Rhin, et vous ne le voyez pas. Vous êtes à la campagne, et à peine y avez-vous un jardin. Vous avez une amie[4] intime, et il faut qu’elle vous quitte. Ni la campagne ni Strasbourg ne doivent vous plaire. Monsieur votre fils n’est-il pas auprès de vous ? il vous consolerait de tout. Que ne puis-je vous avoir tous deux dans mes Délices ! c’est alors que mon ermitage mériterait ce

  1. Chrétien IV, né en 1722, mort en novembre 1775.
  2. Regnard a dit dans le Joueur, III, iv :

    Alimenté, rasé, désaltéré, porte.

  3. Thieriot n’alla voir Voltaire qu’en juillet 1762, à Ferney.
  4. Mme de Brumath.