Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome38.djvu/36

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce monde-ci et dans l’antre. Je me flatte que votre clémence diminuera un peu les peines que vous m’imposez.

J’ai frémi au titre des livres que vous dites brûlés ; mais sachez qu’il y a encore dans la province une édition des Lettres[1] d’Isaac-Onitz, et que ce sera mon refuge. Je bois d’ailleurs des eaux du Léthé, et je vais incessamment boire celles de Plombières. Mon médecin m’avait conseillé de me faire enduire de poix-résine, selon la nouvelle méthode[2] ; mais il a fait réflexion que le feu y prendrait trop aisément, et que nous devons, vous et moi, nous délier des matières combustibles. Je crois, mon cher frère, que vous avez été bien fourré cet hiver ; il a été diabolique, comme disent les gens du monde. Pour moi, j’ai fait un feu d’enfer, et je me suis toujours tenu auprès, sans sortir de mon caveau.

Encore une fois, pardonnez-moi mon péché ; songez que je suis un juste à qui la grâce de notre révérend père prieur a manqué. Je me vois immolé aux géants de la terre australe, à une ville latine, au grand secret de connaître la nature de l’âme avec une dose d’opium. Que sa sainte volonté soit faite sur la terre comme en enfer ! Je vous souhaite, mon cher frère, toutes les prospérités de ce monde-ci et de l’autre. Surtout n’oubliez pas de vous affubler d’un bonnet à oreilles au mois de juin, d’une triple camisole, et d’un manteau. Jouez de la basse de viole, et, si vous avez quelques ordres à donner à votre frère, envoyez-les à la même adresse.

À propos, je me meurs positivement, Bonsoir ; je vous embrasse de tout mon cœur.


2258. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[3].
À Vabern, près de Cassel, le 28 mai.

Je suis comme tous vos sujets,
Je vous respecte et vous adore.
Ô destin, ô dieux, que j’implore,
Quels seront pour moi désormais
Les jours que vous ferez éclore ?
Dieux ! le plus cher de mes projets
Est de pouvoir lui dire encore :

  1. Allusion aux Lettres juives.
  2. Celle de Maupertuis.
  3. Éditeurs, de Cayrol et François (Supplément).