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mort et à la vie, et que je suis pénétré pour vous de la plus vive et tendre reconnaissance.


2871. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Prangins, 6 février.

Mon cher ange, puisque Dieu vous bénit au point de vous faire aimer toujours le spectacle à la folie, je m’occupe à vous servir dans votre passion. Je vous enverrai les cinq actes de nos Chinois ; vous aurez ici les trois autres, et vous jugerez entre ces deux façons. Pour moi, je pense que la pièce en cinq actes étant la même, pour tout l’essentiel, que la pièce en trois, le grand danger est que les trois actes soient étranglés, et les cinq trop allongés ; et je cours risque de tomber, soit en allant trop vite, soit en marchant trop doucement. Vous en jugerez quand vous aurez sous les yeux les deux pièces de comparaison. Ce n’est pas tout ; vous aurez encore quelque autre chose à quoi vous ne vous attendez pas. J’y joindrai encore les quatre[1] derniers chants de cette Pucelle pour qui on m’a tant fait trembler. Je voudrais qu’on pût retirer des mains de Mlle  du Thil ce dix-neuvième chant de l’âne qui est intolérable ; on lui donnerait cinq chants pour un. Elle y gagnerait, puisqu’elle aime à posséder des manuscrits, et je serais délivré de la crainte de voir paraître à sa mort l’ouvrage défiguré. Ne pourriez-vous pas lui proposer ce marché, quand je vous aurai fait tenir les derniers chants ? Vous voyez que je ne suis pas médiocrement occupé dans ma retraite. Cette Histoire prétendue universelle est encore un fardeau qu’on m’a imposé. Il faut la rendre digne du public éclairé. Cette Histoire, telle qu’on l’a imprimée, n’est qu’une nouvelle calomnie contre moi. C’est un tissu de sottises publiées par l’ignorance et par l’avidité. On m’a mutilé, et je veux paraître avec tous mes membres.

Une apoplexie a puni Royer d’avoir défiguré mes vers ; c’est à moi à présent d’avoir soin de ma prose.

Pour Dieu, ayez encore la bonté de parler à Lambert, quand vous irez à ce théâtre allobroge[2] où l’on a cru jouer le Triumvirat. Nos Suisses parlent français plus purement que Cicéron et Octave.

Je vous supplie, en cas que Lambert réimprime le Siècle de Louis XIV, de lui bien recommander de retrancher le petit concile.

  1. Les chants VIII, IX, XVI et XVII.
  2. La Comédie française.