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Les Cramers travaillent à l’Histoire universelle. Et que dites-vous de la méthode de faire des histoires universelles avec cinq ou six livres ? Vous verrez à la fin du troisième tome de cette nouvelle édition une petite sottise ridicule dont je n’ose lui parler. En parlant de la renaissance des sciences et des arts sous les Médicis, il dit que les Toscans, sans aucun secours, inventèrent de nouveau la peinture. On sait que les Toscans apprirent cet art de quelques Grecs que les Médicis avaient attirés à Florence. Il dit ensuite que le Giotto avait fait avec succès un tableau où on représentait l’apôtre saint Pierre marchant sur les eaux. Il plaisante sur cet apôtre marchant sur les eaux, tandis que le Giotto n’a jamais peint des apôtres qui marchent sur les eaux, mais une barque assez connue des Italiens, qui l’appellent la nave di Giotto, et qu’on a ensuite mise en mosaïque sur une des portes de l’église de Saint-Pierre de Rome, où on la voit encore aujourd’hui. Il lui a plu de prendre une barque pour un apôtre, afin de pouvoir goguenarder. Soit. Je me suis bien donné de garde de lui relever cette bévue, et je languis de la voir imprimée.

Je vous souhaite, mon cher ami, de la santé et des prévôtés. Pensez au nègre qui travaille aux carrières de Prangins ; ce nègre vous aime tendrement, et voudrait servir un maître plus humain, moins mourant, et dont il put espérer un peu de bienveillance.

Mme  Dupont vous gagne-t-elle quelques parties d’échecs ? Notre Parisienne à tragédies, à comédies et à bel esprit, n’en sait pas encore bien la marche. Adieu : personne ne vous est plus tendrement attaché que moi.


C…

2870. — À M. LE CONSEILLER TRONCHIN[1].
De Prangins, 6 février.

S’il est impossible à un étranger de faire une acquisition dans votre pays, M. Mallet veut-il faire avec moi le marché de M. de Gauffecourt ? Voyez, décidez, ordonnez pour moi. Je ne peux me mêler que de souffrir dans mon lit, et de vous remettre une lettre de change dans les mains quand il vous plaira. J’attends vos ordres. Je voudrais bien ne pas manquer les occasions d’une retraite : si celle de Saint-Jean me manque, permettez-moi de recourir à d’autres saints.

Je vous supplie, monsieur, de communiquer le projet à M. Mallet et à M. de Montpéroux, à qui j’en donne avis. Voilà bien de la peine pour mettre trois pelletées de terre transjurane sur le squelette d’un Parisien. Je signifie au territoire de Saint-Jean que, s’il ne veut point de moi, j’irai me faire inhumer ailleurs ; mais je vous signifie, monsieur, que je vous suis attaché à la

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.