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page de votre lettre du 30 janvier, est très-vrai et très-désagréable pour tous les honnêtes gens.

Voici le cas où je me trouve. Mon goût et ma mauvaise santé me déterminent depuis très-longtemps à finir ma vie sur les bords du lac de Lausanne. Le conseil d’État de Genève a la bonté de m’offrir toutes les facilités qu’il peut me donner. On me propose la maison que le prince[1] de Saxe-Gotha a occupée à la campagne. Les jardins sont dignes du voisinage de Paris : la maison assez jolie, très-commode, et toute meublée. Mais il se pourrait faire que le dernier article de votre lettre nuisît au marché. Il se peut faire encore qu’il y ait des difficultés pour m’en assurer la possession.

On me vend 90,000 livres de France ce domaine, qui est presque sans revenu. C’est un prix assez considérable pour que la possession m’en soit assurée. Ma philosophie ne fait guère de différence entre une cabane et un palais ; mais j’ai une Parisienne avec moi, qui n’est pas si stoïcienne. On me parle de la belle maison de Hauteville, dans le voisinage de Vevai. On dit que M, d’Hervart pourrait s’en accommoder avec moi, et me passer un bail de neuf années. J’ignore si la maison est meublée, Vous pourriez tout savoir en un moment. M. d’Hervart serait-il d’humeur à la vendre, ou à en faire un marché pour neuf ans ? Et pourrait-il, dans l’un et dans l’autre cas, m’en assurer la pleine jouissance ? Est-il vrai qu’il y a un inconvénient, c’est qu’on ne peut aborder à Hauteville en carrosse ? Voilà bien des questions ; j’abuse de vos bontés, mais vous me donnez tant de goût pour le pays roman que vous me pardonnerez. La chose presse un peu : une autre fois nous parlerons des montagnes[2]. Si vous étiez curieux de voir une petite dissertation que j’envoyai, il y a quelques années, en italien[3], à l’institut de Bologne, vous verriez que je dois avoir un peu d’amour-propre, car je pense en tout comme vous. Il semble que j’aie pris des leçons de vous et de M. Haller ; je préfère l’histoire de la nature aux romans. Je vous embrasse sans cérémonie.

    seiller privé du roi Stanislas, et membre des Académies de Berlin et de Lyon. Voltaire dut entrer en relations avec ce savant quelques années avant 1755. (Cl.)

  1. Fils de la duchesse de Saxe-Gotha.
  2. Allusion à l’in-4° publié par Bertrand, en 1754, sous le titre d’Essais sur les usages des montagnes, etc.
  3. Voyez tome XXIII, page 219.