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peut me rassurer qu’une lettre de vous. J’aurais couru à Lausanne si les douleurs continuelles dont je suis tourmenté me l’avaient permis. La première chose que j’ai faite, en arrivant à Prangins, a été de vous en donner part ; et le premier sentiment que j’ai éprouvé a été de me rapprocher de vous. Les médecins m’ont conseillé les eaux d’Aix ; ceux de Lyon et de Genève se sont réunis dans cette décision ; mais moi, je me conseille votre voisinage et la solitude.

J’ai reçu une lettre de M. l’avoyer de Steiger, que j’avais eu l’honneur de voir à Plombières ; il me conserve les mêmes bontés qu’il me témoigna alors : ainsi, monsieur, je suis plus que jamais dans les sentiments que je vous confiai, quand j’étais à Colmar, et que vous daignâtes approuver. Je crois qu’il ne peut plus être question d’Allaman, ni d’aucune autre terre seigneuriale, puisque les lois de votre pays ne permettent pas ces acquisitions à ceux qui sont aussi attachés aux papes que je le suis. J’ai donc pris le parti de me loger, pour quelque temps, au château de Prangins, dont le maître est ami de ma famille. J’y suis comme un voyageur, ayant du roi mon maître la permission de voyager. Ma mauvaise santé ne sera qu’une trop bonne excuse, si je me fixe dans quelque douce retraite, à portée de vous, et si j’y finis mes jours dans une heureuse obscurité. On m’a parlé d’une maison près de Lausanne, appelée la Grotte[1] où il y a un beau jardin. On dit aussi que M. d’Hervart, qui a une très-belle maison près de Vevai, pourrait la louer ; permettez que je vous demande vos lumières sur ces arrangements. C’est à vous, monsieur, à achever ce que vous avez commencé. C’est vous qui m’avez fait venir dans votre patrie ; je n’ai l’air que d’y voyager, mais vous êtes capable de m’y fixer entièrement.

J’ai reçu une lettre de M. de Bottens, qui me paraît concourir aux vues que j’ai depuis longtemps. Je ne sais si M. des Gloires est à Lausanne ; il m’a paru avoir tant de mérite que je le crois votre ami. Je ne demande à la nature que la diminution de mes maux pour venir profiter de la société de ceux avec qui vous vivez, et surtout de la vôtre. La retraite où mes maux me condamnent m’exclut de la foule ; mais un homme tel que vous sera toujours nécessaire au bonheur de ma vie. Je crois que voici bientôt le temps où vous allez être père, si on ne m’a point

  1. Cet endroit fait partie de Lausanne, et c’est près de là qu’on voit encore la maison habitée par le célèbre Gibbon, de 1754 à 1758, quand il était épris des charmes de Mlle  Curchod (Mme  Necker).