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fortune. On ne s’ouvre ainsi qu’a ceux qu’on aime, et j’ai, depuis environ quarante ans, compté toujours sur votre amitié. Vous devez vivre à Paris gaiement, librement, et philosophiquement.


Ces trois adverbes joints font admirablement.

(Molière, Femmes savantes, acte III, sciène ii.)

Mais, certes, vous me contez des choses merveilleuses, en m’apprenant que votre ancien Pollion[1], et l’Orphée aux triples croches, et Ballot-l’imagination, ne vivent plus ni avec Pollion ni avec vous.

Le diable se met donc dans toutes les sociétés, depuis les rois jusqu’aux philosophes.

Je ne savais pas que vous connussiez M. de Sireuil. Il me paraît, par ses lettres, un fort galant homme. Je suis persuadé que, lorsqu’il s’arrangea avec Royer pour me disséquer, il m’en aurait instruit s’il avait su où me prendre. Il faut que ce soit le meilleur homme du monde ; il a eu la bonté de s’asservir au canevas de son ami Royer ; il fait dire à Jupiter :


Les Grâces
Sont sur vos traces ;
Un tendre amour
Veut du retour.


Comme le parterre n’est pas tout à fait si bon, il pourrait, pour retour, donner des sifflets. Royer est un profond génie ; il joint l’esprit de Lulli à la science de Rameau, le tout relevé de beaucoup de modestie. C’est dommage que Mme Denis, qui se connaît[2] un peu en musique, n’ait pas entendu la sienne ; mais Mme de La Popelinière l’avait entendue autrefois, et il me semble qu’elle n’en avait pas été édifiée. D’honnêtes gens m’ont mandé de Paris qu’on n’achèverait pas la pièce. J’en suis fâché pour messieurs de l’Hôtel de Ville[3], car voilà les décorations de la terre, du ciel, et des enfers, à tous les diables. M. de Sireuil en sera pour ses vers, Royer pour ses croches, et le prévôt des marchands pour son argent. Pour moi, en qualité de disséqué, j’ai présenté mon cahier de remontrances[4] au musicien et au poëte. Il me prend fantaisie de vous en envoyer copie, et de vous prier de faire sen-

  1. La Popelinière.
  2. Cette dame avait reçu de Rameau des leçons de clavecin.
  3. C’était alors la ville de Paris qui avait l’administration de l’Opéra.
  4. La remontrance ou lettre à Sireuil, qui est le poëte, est inconnue. Il en est