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2828. — À M. DE BRENLES.
Au château de Prangins, le 14 décembre[1].

Vous voyez, monsieur, que j’ai pris mon plus long pour venir vous voir, et pour vous remercier de toutes vos bontés. Me voici dans le château de Prangins, avec une de mes nièces, et je viendrais sur-le-champ à Lausanne si je n’étais retenu par un rhumatisme goutteux pour lequel je compte prendre les bains d’Aix en Savoie. Je compte qu’enfin je pourrai jouir de la satisfaction après laquelle je soupire depuis longtemps ; je pourrai jouir de votre société, et être témoin de votre bonheur.

Il me semble qu’Allaman n’a point été vendu ; mais ce n’est point Allaman, c’est vous, monsieur, qui êtes mon objet. Je cherche des philosophes plutôt que la vue du lac de Lausanne, et je préfère votre société à toutes vos grosses truites. Il ne me faut que vous et de la liberté. Je présente mes respects à Mme  de Brenles, et je suis, avec plus de sensibilité que jamais, etc.


Voltaire.

Mme  Denis partage tous mes sentiments, et vous présente à tous deux ses devoirs.

  1. Cette date, ainsi que celles des lettres suivantes, prouve évidemment l’erreur commise par Colini, sous le rapport chronologique seulement, quand il dit dans ses Mémoires, page 145 : « Nous partîmes de Lyon le 21 décembre, et arrivâmes le lendemain au soir à Genève. On célébrait, ce jour-là, l’anniversaire de l’Escalade ; et cette circonstance rendait encore plus difficile l’ouverture des portes. On fit parvenir dans la ville le nom de Voltaire, et sur-le-champ l’ordre fut donné d’ouvrir à lui et à toute sa suite. Nous ne restâmes que trois ou quatre jours à une auberge de Genève, et nous passâmes dans le pays de Vaud, au château de Prangins, situé sur une élévation, près du lac Léman et de la petite ville de Nyon. » — Voltaire partit de Lyon le 11* décembre 1754, et arriva le 12 à Genève, qu’il quitta presque aussitôt pour se réfugier au magnifique château de Prangins. Il est vrai que M. Simonde-Sismondi (Biog. univ., XL, 549), d’accord avec l’Art de vérifier les dates, cite la nuit du 22 au 23 décembre 1602 comme date de l’Escalade de Genève ; mais il est d’autres auteurs qui font mention du 11 et du 12 décembre. Je pense que cette diflérence de quelques jours est celle qui existe entre l’ancien et le nouveau style. Ce qu’il y a de certain, c’est que la fête de l’Escalade, à peu près tombée en désuétude aujourd’hui, avait lieu tous les ans, le 12 décembre, et non le 22, dans les derniers temps. Voilà pourquoi Wagnière qui entra chez Voltaire dès la fin de 1754, a cité le 12 décembre. À cette époque, le château de Prangins appartenait à M. Guiguer (ou Guiger), dont les descendants ont occupé des fonctions judiciaires et militaires dans le canton de Vaud. (Cl.)

    *. Le 10.