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Je me consolerai de cette perte, si vous daignez avoir pour moi les mêmes bontés que vous m’avez déjà témoignées. Je m’en consolerai encore davantage si Mme Dupont se ressouvient quelquefois d’une personne qui a pour elle le plus tendre respect. Je vous prie en grâce de ne dire à qui que ce soit que je vous ai écrit. Vous devez sentir toute la délicatesse de la démarche que je fais, et le grand besoin que j’ai de toute votre prudence. Je ne veux de vous aucune réponse ; et si vous vouliez un jour me mander quelque chose, vous pourriez me faire écrire sans signature. N’oubliez pas votre très-humble et très-obéissant serviteur.


2818. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Lyon, au Palais-Royal, le 20 novembre.

Me voilà à Lyon, mon cher ange ; M. de Richelieu a eu l’ascendant sur moi de me faire courir cent lieues ; je ne sais où je vais ni où j’irai. J’ignore le destin de la Pucelle et le mien. Je voyage tandis que je devrais être au lit, et je soutiens des fatigues et des peines qui sont au-dessus de mes forces. Il n’y a pas d’apparence que je voie M. de Richelieu dans sa gloire aux états de Languedoc ; je ne le verrai qu’à Lyon, en bonne fortune, et je pourrais bien aller passer l’hiver sur quelque coteau méridional de la Suisse. Je vous avouerai que je n’ai pas trouvé dans M. le cardinal de Tencin[1] les bontés que j’espérais de votre oncle ; j’ai été plus accueilli et mieux traité de la margrave de Baireuth, qui est encore à Lyon. Il me semble que tout cela est au rebours des choses naturelles. Mon cher ange, ce qui est bien moins naturel encore, c’est que je commence à désespérer de vous revoir. Cette idée me fait verser des larmes. L’impression de cette maudite Pucelle me fait frémir, et je suis continuellement entre la crainte et la douleur. Consolez par un mot une âme qui en a besoin, et qui est à vous jusqu’au dernier soupir. Mme Denis devient une grande voyageuse ; elle vous fait les plus tendres compliments.


2819. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Lyon, le 23 novembre.

Sæpe, premente deo, fert deus alter opem.


Mandez-moi donc, mon cher ange, s’il est vrai que je suis aussi malheureux qu’on le dit, et s’il y a une édition à Paris de

  1. Voyez, ci-après, la lettre à Richelieu, du 5 janvier 1755. Colini, dans Mon Séjour, page 143, parle aussi de la réception que le cardinal fit à Voltaire.