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de Schœpflin. Je fais plus de cas de la première que de la seconde[1], et toutes deux sont bien entre vos mains. Je me flatte que vous me direz te amo, tua tueor ; mais je répondrai, ego quidem non valeo[2].

Adieu, mon cher ami ; mille respects à Mme  Dupont. Adieu ; je ne m’accoutume point à être privé de vous. Mme  Denis vous fait à tous deux les plus sincères compliments. V,


2817. — DE COLINI À M. DUPONT[3].
À Lyon, novembre 1754.

Je vous dois mille remerciements pour les bontés que vous avez eues pour moi à Colmar ; elles faisaient ma consolation au milieu des chagrins attachés à mon sort. Je ne suis pas plus heureux à Lyon, où la dureté du philosophe que j’ai le malheur de suivre ne cesse de me rendre la vie affreuse. C’est un esclavage dans lequel je vis depuis trois ans, et dont j’allais briser les chaînes à mon départ de Colmar. Je crois, monsieur, pouvoir m’ouvrir à vous sans crainte ; vous êtes prudent, discret, et vous m’avez paru vous intéresser à ce qui me regarde. Voici le fait.

On allait partir de votre ville, et les chevaux étaient prêts. La berline parut trop chargée au philosophe, et il ordonna sur-le-champ qu’on détachât tout, et qu’on n’y laissât que sa malle et celle de sa nièce. Je ne portais avec moi qu’un petit porte-manteau où j’avais une douzaine de chemises et quelques hardes nécessaires. Il me fit dire de tout vendre. La proposition était d’un fou, et j’allai lui dire poliment que ses extravagances étaient insoutenables, que je lui demandais mon congé, et que je le priais d’arranger mon compte. « Je suis fâché, dit-il, que vous vouliez me quitter ; et par rapport à notre compte, je vous dois 19 livres : tenez ; » et il met un louis d’or dans ma main, de la même façon qu’on ferait présent de dix mille pistoles dont on veut paraître honteux. « Monsieur, lui dis-je en regardant ce qu’il me donnait, je m’en vais vous faire rendre cent sols. — Non…, non…, dit-il. — Je vous demande pardon, lui répliquai-je ; il vous revient 5 livres. — Je vous en prie, dit-il, acceptez cette petite bagatelle. » L’occasion me parut trop belle, et je le remerciai, en lui protestant qu’il avait trop de bontés pour moi. Je sortis immédiatement de sa chambre. Sa nièce était auprès de lui ; elle lui en dit apparemment un mot : et comme j’allais gagner la chambre que j’occupais chez Mme  Goll, j’aperçus le philosophe courant après moi :

  1. Cette seconde pancarte était probablement une reconnaissance de la somme de 10,000 livres, prêtée à Scbœpflin le jeune par Voltaire, qui lui avait fait présent des Annales de l’Empire. Les mauvaises affaires de cet imprimeur, dont la papeterie (celle de Luttenbach) ne tarda pas à être vendue, ne lui permirent sans doute pas de rembourser son bienfaiteur, au moins en entier. (Cl.)
  2. Pline, épître xi.
  3. Lettres inédites de Voltaire, etc., 1821.