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tout à votre bonté et à votre prudence. Ma nièce, qui est toujours ma garde-malade à Colmar, se joint à moi pour vous présenter ses remerciements ; c’est une amie sur laquelle Mme  de Brenles et vous, monsieur, pouvez déjà compter. Voyez si vous pouvez acquérir à Lausanne toute une famille de Paris, et si vous pouvez faire du château d’Allaman un temple dédié à la philosophie, dont vous serez le grand-prêtre.

Si on veut vendre Allaman plus de 225,000 livres, je ne peux l’acheter ; mais, en ce cas, n’y a-t-il pas d’autres terres moins chères ? Tout me sera bon, pourvu que je puisse finir mes jours dans un air doux, dans un pays libre, avec des livres, et un homme comme vous. Adieu, monsieur ; conservez votre santé, le premier des biens, celui sans lequel tout n’est rien. Vivez avec votre aimable épouse, et procurez-moi le plaisir d’être témoin de votre bonheur, Permettez-moi de vous embrasser sans cérémonie.


Voltaire.

2794. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Colmar, le 6 octobre.

Mon cher ange, j’ai assez de justice, et, dans cette occasion-ci, assez d’amour-propre pour croire que vous jugez bien mieux que moi. C’est déjà beaucoup, c’est tout pour moi, que vous, et Mme  d’Argental, et vos amis, vous soyez contents ; mais, en vérité, les personnes que vous savez ne le seront point du tout. Les partisans éclairés de Crébillon ne manqueront pas de crier que je veux attaquer impudemment, avec mes trois bataillons étrangers, les cinq gros corps[1] d’armée romaine. Vous croyez bien qu’ils ne manqueront pas de dire que c’est une bravade faite à sa protectrice[2] ; et Dieu sait si alors on ne lui fera pas entendre que c’est non-seulement une bravade, mais une offense et une espèce de satire. Comme vous jugez mieux que moi, vous voyez encore mieux que moi tout le danger ; vous sentez si ma situation me permet de courir de pareils hasards. Vous m’avouerez que, pour se montrer dans de telles circonstances, il faudrait être sûr de la protection de la personne à qui je dois craindre de déplaire. Si malheureusement les allusions, les interprétations malignes, faisaient l’effet que je redoute, on en saurait aussi mauvais gré

  1. Le Triumvirat de Crébillon, en cinq actes.
  2. Mme  de Pompadour.