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vous reverrai plus. Mais je vous avoue que je serais infiniment affligé si j’étais exposé à la fois à des dégoûts à l’Opéra et à la comédie, immédiatement après l’affliction que cette Histoire prétendue universelle m’a causée. Amusez-vous, mon cher ange, avec vos amis, de mes Tartares et de mes Chinois, qui ont au moins le mérite d’avoir l’air étranger. Ils n’ont que ce mérite-là ; ils ne sont point faits pour le théâtre ; ils ne causent pas assez d’émotion. Il y a de l’amour, et cet amour, ne déchirant pas le cœur, le laisse languir. Une action vertueuse peut être approuvée, sans faire un grand effet. Enfin je suis sûr que cela ne réussirait pas, que les circonstances seraient très-peu favorables, et que les allusions de la malignité humaine seraient très-dangereuses. Les personnes sur lesquelles on ferait ces applications injustes se garderaient bien, je l’avoue, de les prendre pour elles, de s’en fâcher, d’en parler même ; mais, dans le fond du cœur, elles seraient très-piquées, et contre moi, et contre ceux qui auraient donné la pièce. Elles la feraient tomber à la cour : c’est bien le moins qu’elles pussent faire. Qui jamais approuvera un ouvrage dont on fait des applications qui condamnent notre conduite ? Je vous demande donc en grâce que cet avorton ne soit vu que de vous et de vos amis. J’ai donné mon consentement à la représentation de ce malheureux opéra de Prométhée comme je donne mon consentement à mon absence, qui me tient éloigné de vous. Je souffre avec douleur ce que je ne peux empêcher. On m’a fait assez sentir que je n’ai aucun droit de m’opposer aux représentations d’un ouvrage imprimé depuis longtemps, dont la musique est approuvée des connaisseurs de l’Hôtel de Ville, et pour lequel on a déjà fait de la dépense. Je sais assez qu’il faudrait une dépense royale et une musique divine pour faire réussir cet ouvrage ; il n’est pas plus propre pour le théâtre lyrique que les Chinois pour le théâtre de la Comédie. Tout ce que je peux faire, c’est d’exiger qu’on ne mette pas au moins sous mon nom les embellissements dont M. de Sireuil a honoré cette bagatelle. Je vois qu’on est toujours puni de ses anciens péchés. On me défigure une vieille Histoire générale ; on me défigure un vieil opéra. Tout ce que je peux faire à présent, c’est de tâcher de n’être pas sifflé sur tous les théâtres à la fois. Vous jugerez, mon cher ange, de la nature du consentement donné à Royer par la lettre ci-jointe. Je vous supplie de la faire passer dans les mains de Moncrif, si cela se peut sans vous gêner.

J’ai encore pris la précaution d’exiger de Lambert qu’il fasse une petite édition de cette Pandore avant qu’on ait le malheur