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lui de nuances ; il y en a encore moins pour Idamé, qui ne doit pas combattre un moment ; et la situation d’un homme à qui on veut ôter sa femme a quelque chose de si avilissant pour lui qu’il ne faut pas qu’il paraisse ; sa vue ne peut faire qu’un mauvais effet. La nature de cet ouvrage est telle qu’il faut plutôt supprimer des situations et des scènes que songer à les multiplier ; je l’ai tenté, et je suis demeuré conaincu que je gâtais tout ce que je voulais étendre. C’est à vous maintenant à voir, mon cher et respectable ami, si cette nouveauté peut être hasardée, et si le temps est convenable.

Je vous remercie de Rome sauvée, dont je fais plus de cas que de mon Orphelin. Je tâcherai de dérober quelques moments à mes maladies et à mes occupations pour faire ce que vous exigez.

Vous montrerez sans doute mes trois magots à M. de Pont-de-Veyle et à M. l’abbé de Chauvelin. Vous assemblerez tous les anges. Je me fie beaucoup au goût de M. le comte de Choiseul. Si tout cet aréopage conclut à donner la pièce, je souscris à l’arrêt.

L’Histoire générale me donne toujours quelques alarmes. Le troisième volume ne pouvait révolter personne. Les objets de ce temps-là ne sont pas si délicats à traiter que ceux de la grande révolution qui s’est faite dans l’Église du temps de Léon X. Les siècles qui précédèrent Charlemagne, et dont il faut donner une idée, portent encore avec eux plus de danger, parce qu’ils sont moins connus, et que les ignorants seraient bien effarouchés d’apprendre que tant de faits, qu’on nous a débités comme certains, ne sont que des fables. Les donations de Pépin et de Charlemagne sont des chimères ; cela me parait démontré. Croiriez-vous bien que les prétendues persécutions des empereurs contre les premiers chrétiens ne sont pas plus véritables ? On nous a trompés sur tout ; et on est encore si attaché à des erreurs qui devraient être indifférentes qu’on ne pardonnera pas à qui dira la vérité, quelque circonspection et quelque modestie qu’il emploie.

Les deux premiers volumes, qu’on a si indignement tronqués et falsifiés, ne devraient m’être attribués par personne ; ce n’est pas là mon ouvrage. Cependant, si on a eu la cruauté de me condamner sur un ouvrage qui n’est pas le mien, que ne fera-t-on pas quand je m’exposerai moi-même !

Puisque je suis en train de vous parler de mes craintes, je vous dirai que notre Jeanne me fait plus de peine que Léon X et