Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome38.djvu/258

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mme  Denis vous fait les siens très-tendrement. Elle s’est faite garde-malade. Elle travaille dans son infirmerie, et moi dans la mienne. Nous sommes deux reclus. Quand on ne peut vivre avec vous, il faut ne vivre avec personne. Adieu, mes anges ; mes magots chinois et moi, nous sommes à vos ordres. Je vous salue en Confucius, et je m’incline devant votre doctrine, m’en rapportant à votre tribunal des rites.


2778. — À M. LE MARECHAL DUC DE RICHELIEU.
À Colmar, le 6 août.

Croyez fermement, monseigneur, que je vous mets immédiatement au-dessus du soleil et des bibliothèques. Je ne peux, en vérité, vous donner une plus belle place dans la distribution de mes goûts. Je suis assez content du soleil pour le moment ; mais ne vous figurez pas que, dans votre belle province[1] vous ayez les livres qu’il faut à ma pédanterie. Je les ai trouvés au milieu des montagnes des Vosges, Où ne va-t-on pas chercher l’objet de sa passion ! Il me fallait de vieilles chroniques du temps de Charlemagne et de Hugues Capet, et tout ce qui concerne l’histoire du moyen Age, qui est la chose du monde la plus obscure ; j’ai trouvé tout cela dans l’abbaye de dom Calmet. Il y a dans ce désert sauvage une bibliothèque presque aussi complète que celle de Saint-Germain des Prés de Paris. Je parle à un académicien : ainsi il me permettra ces petits détails. Il saura donc que je me suis fait moine bénédictin pendant un mois entier. Vous souvenez-vous de M. le duc de Brancas[2], qui s’était fait dévot au Bec ? Je me suis fait savant à Senones, et j’ai vécu délicieusement au réfectoire. Je me suis fait compiler par les moines des fatras horribles d’une érudition assommante. Pourquoi tout cela ? pour pouvoir aller gaiement faire ma cour à mon héros, quand il sera dans son royaume. Pédant à Senones, et joyeux auprès de vous, je ferais tout doucement le voyage avec ma nièce. Je ne pouvais régler aucune marche avant d’avoir fait un grand acte de pédantisme que je viens de mettre à fin. J’ai donné moi-même un

  1. Le bas Languedoc. (Cl.)
  2. Louis de Brancas, né le 14 février 1663, se démit de sa pairie en faveur de son fils aîné, le 14 décembre 1709, et se retira, le 29 septembre 1721, en l’abbaye du Bec en Normandie ; il y resta jusqu’en 1731, qu’il vint établir sa résidence à Paris dans la maison de l’institution de l’Oratoire, où il mourut le 24 janvier 1739. (B.) — C’est à son fils qu’est adressée la lettre 24.