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Il faut être deux, au moins, pour jouir de toutes les douceurs de la vie, et il faut n’être que deux, quand on a une femme comme celle que vous avez trouvée. J’en ai bien parlé avec la bonne Mme Goll. Elle sait combien Mme de Brenles a de mérite ; vous avez épousé votre semblable. Si je faisais encore de petits vers, je dirais :


Il faut trois dieux dans un ménage,
L’Amitié, l’Estime, et l’Amour ;
On dit qu’on les vit l’autre jour
Qui signaient voire mariage[1].


Pour moi, monsieur, je vais trouver les naïades ferrugineuses de Plombières. Le triste état où je suis m’empêche d’être témoin de votre félicité. Si je peux avoir une santé un peu tolérable, la passion de faire un petit voyage à Lausanne en deviendra plus forte ; comptez que vos lettres la redoublent. La bonté dont vous dites que Mme de Brenles m’honore est un nouvel encouragement. Je demanderai permission à toutes les maladies qui m’accablent ; mais je ne peux répondre ni du temps où je viendrai, ni de mon séjour. Je sens seulement que, si mon goût décidait de ma conduite, je passerais volontiers ma vie dans le sein de la liberté, de l’amitié, et de la philosophie. Je me croirais, après vous deux, l’homme le plus heureux de Lausanne.

J’aurais encore, monsieur, un autre compliment à vous faire sur la charge[2] et sur la dignité que vous venez d’obtenir dans votre patrie ; mais il en faut complimenter ceux qui auront affaire à vous, et je ne peux vous parler à présent que d’un bonheur qui est bien au-dessus des emplois. Permettez-moi de présenter mes respects à Mme de Brenles, et de vous renouveler les sentiments avec lesquels je compte être toute ma vie, etc.


Voltaire.
  1. M. et Mme de Brenles, sans se consulter, envoyèrent chacun leur réponse à Voltaire.
    De M. de Brenles.

    L’Estime et l’Amitié, malgré leur jeune frère,
    Voudraient étendre encor les plans qu’ils ont tracés.
    L’Amour dit : « Ils sont deux, avec nous c’est assez. »
    Mais les autres ont dit : « Il y faudrait Voltaire. »

    De Mme de Brenles.

    L’Estime et l’Amitié, en dépit de leur frère,
    Disent que nombre trois fut toujours nombre heureux.
    L’Amour dit : « Avec moi c’est assez d’être deux. »
    Les deux autres ont dit : « Il y faudrait Voltaire. »
    (Note de l’éditeur des Lettres diverses, Genève, Paschoud, 1821, in-8°.)

  2. Celle de conseiller baillival.