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2542. — À M. ROQUES.
Leipsick, avril.

Je suis tombé malade à Leipsick, monsieur, et je ne sais pas encore quand je pourrai en partir[1]. J’y ai reçu votre lettre du 22 mars. Elle m’étonnerait si, à mon âge, quelque chose pouvait m’étonner.

Comment a-t-on pu imaginer, monsieur, que j’ai pris des lettres de La Beaumelle pour des lettres de Maupertuis ? Non, monsieur, chacun a ses lettres. Maupertuis a celles où il veut qu’on aille disséquer des géants aux antipodes, et La Beaumelle a les siennes, qui sont l’antipode du bon sens. Dieu me garde d’attribuer jamais à un autre qu’à lui ces belles choses qui ne peuvent être que de lui, et qui lui font tant d’honneur et tant d’amis ! On vous aurait accusé juste si on vous avait dit que je m’étais plaint du procédé de Maupertuis, qui alla trouver La Beaumelle à Berlin pour l’envenimer contre moi, et qui se servit de lui comme un homme profondément artificieux et méchant peut se servir d’un jeune homme imprudent.

Il me calomnia, vous le savez ; il lui dit que j’avais accusé l’auteur du Qu’en dira-t-on, auprès du roi, dans un souper. Je vous ai déclaré[2] que ce n’était pas moi qui avais rendu compte à Sa Majesté du Qu’en dira-t-on ; que ce fut M. le marquis d’Argens. J’en atteste encore le témoignage de d’Argens et du roi lui-même. C’est cette calomnie, d’après Maupertuis, qui a fait composer les trois volumes d’injures de La Beaumelle. Il devrait sentir à quel point on a méchamment abusé de sa crédulité ; il devrait sentir qu’il est le Baton dont Bertrand s’est servi pour tirer les marrons

    faveur, et sans être payé pour cela ! » Le roi au fond de son cœur se repent. Plût, au ciel que je fusse demeuré à Potsdam ! Mais j’étais décidé à partir. J’écrirai au roi d’ici peu de jours. Il vaut mieux écrire que parler.


    Je suis d’avis que Wolff aussi doit écrire au roi. Une lettre courte et éloquente, modeste mais ferme, sur les accusations contre Wolft et les injures qui se trouvent dans les lettres de Maupertuis, aurait beaucoup d’efficacité et impressionnerait l’esprit du roi, déjà ébranlé. Que nulle autre question ne soit soulevée. Le nom de Wolff prévaudra toujours. Je ne puis seul faire la guerre.

  1. Arrivé à Leipsick, le 27 mars, à six heures du soir. Voltaire y demeura vingt trois jours avec Colini. Ce fut dans les premiers jours d’avril qu’il écrivit à Maupertuis la Lettre du docteur Akakia au natif de Saint-Malo, imprimée tome XXIII, page 583. — Vers le 21 du même mois, Voltaire arriva à Gotha, où il passa trente-trois jours chez Louise-Dorothée de Saxe-Meiningen, duchesse de Saxe-Gotha.
  2. Voyez la lettre 2470.