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elle ces infâmes superstitions qui désolent la terre, et dont votre auguste maison a été la victime. Mais, madame, j’ai bien peur que le bonheur de vous faire ma cour ne me soit interdit. Je deviens d’ailleurs si malade que je perds presque toute espérance. Des souffrances continuelles rendent incapable de jouir de la société, à plus forte raison de faire sa cour à une grande princesse. Ernest le Pieux n’a point fondé le château de Gotha comme un hôpital pour un Français qui barbouille du papier, et son auguste descendante n’en a pas fait le palais des Grâces pour qu’un malade vînt l’y ennuyer. Il faut arriver dans votre sanctuaire, couronné de roses et le luth d’Apollon à la main.

Votre Altesse sérénissime me parle de son portrait ; mais qu’elle se souvienne que jamais les peintres ni les sculpteurs n’ont orné les portraits et les statues des déesses : elles sont belles par elles-mêmes. N’allez pas, madame, gâter votre portrait. Je vous vois venir de loin, permettez-moi cette expression ; et je prends la liberté de déclarer à toute la maison de Vitikind que ce portrait est le plus beau joyau de leurs couronnes, et le seul que je puisse et que je doive recevoir, après les bontés infinies dont Votre Altesse sérénissime m’a comblé.

On vient de faire un énorme poëme épique à Paris sur Jésus-Christ. Quel sujet que la Passion pour un poëme épique ! Quels amours que ceux de Marthe et de Madeleine ! Ce nouvel ouvrage, dont Jésus-Christ est le héros, s’appelle la Christiade[1]. Il est en prose. Que ne laissait-on l’Écriture sainte comme elle était ? Et plût à Dieu qu’elle n’eût jamais été l’occasion de plus grands maux ! Un malheureux jésuite nommé Berruyer a fait aussi une espèce de mauvais roman du Nouveau Testament en style de ruelle. Quelle décadence en France des belles-lettres et du bon goût ! Tout tombe ; mais Gotha subsiste. Que ne puis-je, madame, y venir mettre a vos pieds le tendre respect, la reconnaissance, le zèle, le goût infini qui m’appellent dans votre cour. V.


2718. — DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE[2].
Potsdam, 16 mars 1754.

Je vous remercie du livre[3] que vous m’avez envoyé. Il est beau de voir un homme s’occuper à des ouvrages purement utiles, lorsqu’il peut en faire

  1. Ou le Paradis reconquis, 6 vol. in-12, par l’abbé de La Baume-Desdossat.
  2. Cette lettre, tirée des archives du Cabinet de Berlin, a été publiée dans les Œuvres de Frédéric le Grand, édition Preuss, tome XXIII, page 3 ; Berlin, 1853.
  3. Le premier volume des Annales de l’Empire ; voyez tome XIII.