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je n’en peux plus. Je viens d’écrire quatre pages[1] à Mme  Denis, et de faire bien des paquets. Pardonnez-moi donc ; conservez-moi votre tendre amitié ; écoutez ou devinez mes raisons, et jugez-moi.

Si j’avais de la santé, et si je pouvais, comme auparavant, travailler tout le jour et me passer de secours, j’irais très-volontiers dans la solitude de Sainte-Palaye ; mais il me faut des livres, une ou deux personnes qui puissent me consoler quelquefois, une garde-malade, un apothicaire, et tout ce qu’on peut trouver de secours dans une ville, excepté des jésuites allemands. Ne vous faites point d’ailleurs d’illusion, mon cher ami. Le petit abbé[2] mourra dans le château où il est ; je ne vous en dis pas davantage, et vous devez me comprendre. Je ne vous ai demandé, non plus qu’à Mme  Denis, qu’un commissionnaire pour solliciter mes affaires chez M. Delaleu, pour aider Mme  Denis dans la vente de mes meubles, pour faire ses commissions comme les miennes, pour m’envoyer du café, du chocolat, les mauvaises brochures et les mauvaises nouvelles du temps, à l’adresse qu’on lui indiquerait. Je vous le demande encore instamment, en cas que vous puissiez connaître quelque homme de cette espèce. Je ne sais si un nommé Mairobert[3] qui trotte pour M. de Bachaumont, ne serait pas votre affaire.

Vous devinez aisément par ma dernière lettre[4], mon cher ange, ce que je dois souffrir. Je n’ai autre chose à vous ajouter, sinon que je continuerai jusqu’à ma mort la pension que je fais à la personne que vous savez, et que je l’augmenterai dès que mes affaires auront pris un train sûr et réglé. Je lui en ai assuré d’ailleurs bien davantage ; et j’avais espéré, quand elle me força de revenir en France, la faire jouir d’un sort plus heureux. Je me flatte qu’elle aura du moins une fortune assez honnête : c’est tout ce que je peux et que je dois, après ce que vous savez qu’elle

  1. Cette lettre, dont on doit regretter la perte, répondait à celle de Mme  Denis du 20 février 1754.
  2. L’abbé de Chauvelin.
  3. Matthieu-Franrois Pidansat de Mairobert, qui donna, en 1753, la Querelle (de Voltaire avec Maupertuis ; voyez tome XXIII, page 535), était né en 1727, et se tua le 27 mars 1779, le jour même qu’il fut blâmé par arrêt du Parlement dans l’affaire du marquis de Brunoy. On a cru que Mairobert n’était que le prête-nom du comte de Provence (depuis Louis XVIII). Ce qui est certain, c’est qu’avant l’apposition des scellés, tous ses papiers furent enlevés par ordre du roi. Le clergé avait voulu lui refuser la sépulture, comme suicidé : mais le curé de Saint-Eustache fut obligé d’obéir à un ordre royal. (B.)
  4. Cette lettre n’a pas été retrouvée.