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que le vôtre, et vos bontés diminuent, autant qu’il est possible, le juste excès de ma douleur. Je ne vois pas ce que je peux faire de plus fort que de charger les journaux et les gazettes non-seulement du désaveu de l’indigne édition de Jean Néaulme, et de celles qui l’ont suivie, mais de mon indignation contre l’éditeur et le libraire. Certainement, si j’avais eu la moindre part à cette édition condamnable, ce Jean Néaulme, qui est dans un pays libre, ne souffrirait pas des reproches si violents et si publics. J’ai constaté par un procès-verbal authentique la friponnerie insigne de l’éditeur.

Quand j’ai eu l’honneur de vous envoyer, monsieur, ce procès-verbal avec une lettre pour monseigneur le chancelier votre père, j’ai cru qu’il avait le ministère de la littérature. Puisque c’est vous seul qui en êtes chargé, monsieur, j’attends de vos bontés que vous voudrez bien faire parvenir au roi la vérité, qui vous est connue. Quel autre que vous peut faire connaître cette vérité opprimée ?

On a persuadé au roi que cette indigne édition était mon ouvrage, et que j’avais du moins connivé à sa publication. Quoique le contraire soit démontré, je suis perdu sans ressource, car je sens bien que les plaies faites par la calomnie sont incurables. Mais le cri de mon innocence, la seule consolation qui me reste, n’en sera que plus fort. Je vous conjure, monsieur, de prêter à ce cri douloureux votre voix bienfaisante. Certainement, on ne vous demandera pas des nouvelles de cette affaire. Quand la calomnie a été aux oreilles des rois, elle se repose dans leur cœur ; et on ne va point aux informations, s’il ne se trouve pas une âme comme la vôtre, courageuse dans sa pitié, qui prenne sur elle le soin généreux de dire et de faire dire au roi combien je suis innocent et calomnié. Ma mort grossira le nombre des infortunés perdus pour les belles-lettres que vous protégez. Un mot est tout ce que je vous demande, soit à Mme  de Pompadour, soit au roi même, soit à ceux qui l’approchent ; et ce mot redoublera la reconnaissance inaltérable avec laquelle je serai, jusqu’au dernier moment, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.


2703. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Colmar, le 28 février.

Vous n’êtes pas accoutumé, mon cher et respectable ami, à recevoir des lettres de moi qui ne soient pas de ma main ; mais