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tinent, et qu’il soit si difficile de dire que je ne l’ai pas fait ? L’acte public[1] que j’ai l’honneur de vous envoyer doit servir au moins à démontrer mon innocence, s’il ne sert pas à faire cesser une persécution injuste. Personne n’est plus à portée que vous de rendre gloire à la vérité, et peut-être un mot de votre bouche, dit à propos, m’empêcherait de mourir hors de ma patrie. Quoi qu’il arrive, je serai jusqu’au dernier moment, avec bien de la reconnaissance et du respect, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

P. S. Je vous supplie instamment de vouloir bien empêcher l’entrée d’un nouveau libelle intitulé Nouveau Volume du siècle de Louis XIV, et imprimé à la Haye, chez Jean Van Duren.


2700. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
À Colmar, le 24 février.

Je ne vous écris point de ma main, mon cher et respectable ami. On dit que vous êtes malade comme moi ; jugez de mes inquiétudes. Voici le temps de profiter des voies du salut que le clergé ouvre à tous les fidèles. Si vous avez un Bayle dans votre bibliothèque, je vous prie de me l’envoyer par la poste, afin que je le fasse brûler, comme de raison, dans la place publique de la capitale des Hottentots, où j’ai l’honneur d’être. On fait ici de ces sacrifices assez communément ; mais on ne peut reprocher en cela à nos sauvages d’immoler leurs semblables, comme font les autres anthropophages. Des révérends pères jésuites fanatiques ont fait incendier ici sept exemplaires de Bayle ; et un avocat général[2] de ce qu’on appelle le conseil souverain d’Alsace a jeté le sien tout le premier dans les flammes, pour donner l’exemple, dans le temps que d’autres jésuites, plus adroits, font imprimer Bayle à Trévoux[3] pour leur profit. Je cours risque d’être brûlé, moi qui vous parle, avec la belle Histoire de Jean Néaulme. Nous avons un évêque de Porentru (qui eût cru qu’un Porentru fût évêque de Colmar ?) ; ce Porentru[4] est grand chasseur, est grand buveur de son métier, et gouverne son diocèse

  1. C’est le procès-verbal de la comparaison faite par-devant notaire de l’Abrégé publié par Néaulme et du manuscrit de Voltaire. Voyez tome Ier.
  2. Il s’appelait Muller ; voyez page 172.
  3. La seule édition du Dictionnaire de Bayle qui ait été faite à Trévoux est de 1734, en cinq volumes in-folio.
  4. Ce Porentru était le prince-évêque de Bâle, qui avait, dans la ville de Porentruy, à deux pas de la frontière française, un château où il résidait.