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qui doivent me faire espérer plus de justice. Je vous en envoie ici copie, et je vous laisse à penser quelle est votre excuse.


2691. — À POLIER DE BOTTENS[1].
Colmar, 10 février.

Votre lettre me touche sensiblement ; c’est une vraie peine pour moi de n’y pouvoir répondre de ma main ; mais le triste état de ma santé me prive de toutes les consolations. Je ne reçus point à Francfort les lettres dont vous faites mention. Votre dernière me fait voir que vous me conservez les bontés avec lesquelles vous m’aviez prévenu, et redouble l’enie que j’ai toujours eue de finir ma vie dans un pays libre, sous un gouvernement doux, loin des caprices des rois et des intrigues des cours. J’ai toujours pensé que l’air de Lausanne conviendrait mieux à ma santé que celui d’Angleterre ; mais je ne sais encore


Me si fata meis patiuntur ducere vitam
Auspiciis, et sponte mea componere curas.

(Virg., Æn., lib. IV, v. 340.)

Je suis toujours gentilhomme ordinaire de la chambre du roi de France ; et, lorsque le roi de Prusse m’arracha à ma patrie, à ma famille, à mes amis, dans un âge avancé, pour cultiver avec lui la littérature, et pour lui servir de précepteur pendant deux années, j’eus besoin d’une permission expresse du roi mon maître. Je me suis retiré à Colmar pour y achever un petit abrégé de l’Histoire de l’Empire, que j’avais commencé en Allemagne ; mais j’ignore encore si je pourrai obtenir la permission d’aller finir mes jours sur les bords de votre lac. Je désirerais que M. Bousquet[2] entreprît une édition correcte de mes véritables ouvrages, qu’on ne connaît pas, et qui sont en vérité fort différents de tout ce qui a paru jusqu’ici. Je souhaite passionnément que ma destinée me permette d’exécuter tous ces projets. Au reste, je suis un solitaire qui ne connais que mon cabinet,

    était la lettre de Rousset, du 7 mars 1737 ; voyez n° 727, tome XXXIV, page 227.

  1. Antoine-Noé Polier de Bottens, né le 27 décembre 1713, d’abord ministre du saint Évangile à Lausanne, puis premier pasteur, fut l’un des signataires de la pièce rapportée tome XIV, page 135. Il est le père de la célèbre. Mme de Montolieu.
  2. Marc-Michel Bousquet, l’un des imprimeurs de Lausanne.