Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome38.djvu/172

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pense par l’imprimé ci-joint[1]. C’est une friponnerie de libraire. Les belles-lettres et la librairie ne sont plus qu’un brigandage. J’ai désavoué et condamné hautement cette indigne édition dans plusieurs écrits, et particulièrement dans la préface des Annales de l’Empire[2], que je vous enverrai par la voie que vous voudrez bien m’indiquer. J’avais commencé ces Annales à Gotha, je n’avais pu refuser cette obéissance aux ordres de madame la duchesse. J’ai continué mon ouvrage à Francfort ; je suis venu le finir à Colmar, où j’ai trouvé beaucoup de secours. Vous voyez que les plus horribles persécutions n’ont ni dérangé ma philosophie, ni diminué mon goût pour le travail, que j’ai toujours regardé comme la plus grande consolation pour les malheurs inséparables de la condition humaine. C’est chez soi, c’est dans son cabinet, qu’on doit trouver des armes contre les injustices des hommes. Les princes cherchent dans des chiens, des chevaux, et des piqueurs, une distraction à leurs chagrins et à leur ennui ; les philosophes doivent la trouver dans eux-mêmes. Mais une des plus grandes consolations, c’est l’amitié d’un homme comme vous ; conservezla-moi, et comptez sur celle de votre, etc.


2688. — À. M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Colmar, le 7 février.

Vraiment, mon cher ange, il est bien vrai que les impressions de cette malheureuse Histoire, prétendue universelle, ne sont pas effacées ; les plaies sont récentes, elles saignent, et sont bien profondes. Il est certain qu’on m’a voulu perdre en France, après m’avoir perdu en Prusse, et qu’on a engagé ces coquins de libraires de Berlin et de la Haye à imprimer un ancien manuscrit informe pour m’achever. Il est incontestable que ce manuscrit est très-différent[3] du mien. Je conjurai ma nièce d’exiger la suppression du livre, dès qu’il parut ; elle eut la faiblesse de croire ceux qui en étaient contents : elle me manda que M. de Malesherbes le trouvait très-bon ; et aujourd’hui M. de Malesherbes croit ne me pas devoir le témoignage que je demande. Il m’est pourtant essentiel qu’on sache la vérité ; non que j’espère

  1. Probablement l’écrit. À M. de *** le professeur en histoire ; voyez tome XXIII, page 29.
  2. Voltaire appelle ainsi la pièce dont il est parlé dans la note précédente.
  3. Voyez, dans le tome Ier, parmi les Pièces justificatives, le Procès-verbal (du 22 février 1754) concernant un livre intitulé Abrégé de l’Histoire universelle, etc.