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bon cœur à ceux qui ont envie de dénigrer la réputation des autres ; que je n’ai point la folie et la vanité des auteurs, et que les cabales des gens de lettres me paraissent le comble de l’avilissement.


2534. — RÉDACTION D’APRÈS CE PRÉCIS[1].
16 mars 1753.

Il n’était pas nécessaire que vous prissiez le prétexte du besoin que vous me dites avoir des eaux de Plombières, pour me demander votre congé. Vous pouvez quitter mon service quand vous voudrez ; mais, avant de partir, faites-moi remettre le contrat de votre engagement, la clef, la croix, et le volume de poésies[2] que je vous ai confié. Je souhaiterais que mes ouvrages eussent été seuls exposés à vos traits et à ceux de Kœnig. Je les sacrifie de bon cœur à ceux qui croient augmenter leur réputation en diminuant celle des autres. Je n’ai ni la folie ni la vanité de certains auteurs. Les cabales des gens de lettres me paraissent l’opprobre de la littérature. Je n’en estime cependant pas moins les honnêtes gens qui les cultivent. Les chefs de cabales sont seuls avilis à mes yeux.

Sur ce, je prie Dieu qu’il vous ait en sa sainte et digne garde.


2535. — À M. LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU.
Potsdam[3], le 20 mars.

Je m’imagine que je vous ferai un grand plaisir de vous faire lire les deux plus jolies plaisanteries qu’on ait faites depuis longtemps. Vous avez été ambassadeur, monseigneur le maréchal, et vous serez plus à portée que personne de goûter le sel de ces ouvrages : cela est d’ailleurs absolument dans votre goût. Il me semble que j’entends feu M. le maréchal de La Feuillade, ou l’abbé de Chaulieu, ou Périgny, ou vous ; il me semble que je lis le docteur Swift ou milord Chesterlield, quand je lis ces deux Lettres[4]. Comment voulez-vous qu’on résiste aux charmes d’un

  1. Ce billet fut inséré, par les soins mêmes du roi, dans les gazettes de Hollande et d’Utrecht, avec la date du 15 mars. (Desn.)
  2. C’est l’Œuvre de poëshie, dont il est question dans les Mémoires, et dans la lettre de Voltaire à l’empereur d’Allemagne, du 5 juin 1753.
  3. Voltaire, après avoir fait à Berlin une maladie causée par l’excès du travail et par toutes les contrariétés qu’il venait d’éprouver, dit Colini, se rendit à Potsdam, où ils arrivèrent l’un et l’autre, le 18 mars, à sept heures du soir. Voltaire occupa au château le même appartement qu’il avait eu d’abord ; mais, le 26 mars, il quitta Potsdam pour n’y plus revenir. (Cl.)
  4. Les Lettres au public, dans lesquelles Frédéric traitait tous les partisans de Kœnig d’envieux, de sols, et de malhonnêtes gens. (Cl.)