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on n’écrit guère ; cependant, monseigneur, je vous écrirais à l’agonie. J’apprends que M. le duc de Fronsac est réchappé d’une maladie dangereuse. Je vous en félicite, et je lui souhaite une carrière aussi brillante que la vôtre. Il est triste que je voie finir la mienne loin de vous. Un événement imprévu[1] recule encore mes espérances. Voici des pièces qui peuvent démontrer mon innocence, et qui peut-être la laisseront opprimée. Je vous demande en grâce que la copie de ma lettre[2] à Mme  de Pompadour ne soit pas vue de vos secrétaires. J’ai un petit malheur, c’est que je n’écris pas une ligne qui ne coure l’Europe. Il y a un lutin qui préside à ma destinée. Si ce farfadet pouvait s’entendre avec le génie qui préside à la vôtre, je bénirais ma dernière course.

Je pourrais m’étonner qu’on m’eût accusé d’avoir fait imprimer cette Histoire informe, dans le temps que j’en ai, depuis dix ans, des manuscrits cent fois plus corrects, plus curieux, et plus amples ; je pourrais m’étonner qu’on eût eu cette injustice, dans le temps que je suis en France, dans le temps que j’ai supplié très-instamment M. de Malesherbes de supprimer cette édition ; mais je ne m’étonne de rien, je ne me plains de rien, et je suis préparé à tout. Adieu, monseigneur ; conservez-moi vos bontés.

P. S. On m’assure que le prince Charles rendit au roi de Prusse sa cassette prise à la bataille de Sohr, dans laquelle Sa Majesté prussienne prétend qu’il avait mis mon manuscrit. Je sais qu’on lui rendit jusqu’à son chien. Il me demanda depuis un nouvel exemplaire ; je lui en donnai un plus correct et plus ample. Il a gardé celui-là ; son libraire, Jean Néaulme, a imprimé l’autre.

Nous n’avons pas porté de santé, ma nièce ni moi, depuis un souper où nous nous trouvâmes tous deux un peu mal à Francfort. Voilà pourquoi ma santé, toujours languissante, ne m’a pas permis de vous écrire.


2678, — À M. DE MALESHERBES[3],
Colmar. 30 décembre.

Vous serez surpris de mon extrême impertinence ; mais l’orage qui s’élève au sujet de cette malheureuse édition, faite par des

  1. L’impression des deux volumes intitulés Abrégé de l’Histoire universelle.
  2. La lettre précédente.
  3. Éditeurs, de Cayrol et François.